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Cinéma en Atelier

Publié le 12/11/2018 par Bertrand Gevart / Catégorie: Livre & Publication

À la magnifique, légitime, et nécessaire initiative de l'Association des ateliers d'accueil, d'école et de production de la Fédération Wallonie-Bruxelles concernant la programmation de films d’atelier en salle et l’établissement d’un site internet, s’ajoute un ouvrage conséquent, imprégné de témoignages, de mémoires, de films, de philosophie. Avec une existence de plus de 40 ans, une existence toujours travaillée par la nécessité de faire vivre un cinéma de création, nous pouvons aisément, à travers l’ouvrage Cinéma en Atelier dirigé par Muriel Andrin, mesurer l’importance de leurs productions et leurs places au sein du paysage audiovisuel belge.

Cinéma en Atelier

Ce livre est un travail d’archivage impressionnant. Il résonne au présent comme une exigence de montrer et de consigner un héritage cinématographique. Il rassemble également, de manière minutieuse et méthodique, et dans un geste d’historien, le regard franc et fragile de celles et ceux qui ont fait les films d’ateliers, leurs œuvres, leurs identités, leurs histoires de production, s’inscrivant dans le monde en y relevant le politique, le social, le réel.

En effet, loin d’être réduit et associé à une liste de grands noms ou de films de fictions, le cinéma belge, dans son histoire, est caractérisé par sa diversité créatrice et son audace, tant sur le plan de la réalisation que de la production. La rédactrice de l’ouvrage dresse une historicité précise et rigoureuse de l’avènement des films d’ateliers depuis leur création à nos jours par le biais de personne (Jean-Claude Batz) et le décret cinéma inscrivant les Ateliers de Production d’Ecole et d’Accueil dans une tradition de création libertaire. Depuis leurs origines, les ateliers ont toujours été les garde-fous d’une diversité filmique essentielle. Mais cette publication ne s’efforce pas uniquement de compiler une histoire dans laquelle s’inscrit les ateliers et leurs productions. Elle s’intéresse également à la mise en place d’une pratique artistique évoluant dans le temps présent : du 16mm à la vidéo Hi8 ou VHS en passant par les dernières technologies… On le voit, les films produits au sein des divers ateliers sont profondément liés aux changements technologiques de la société dans laquelle ils s’ancrent. Il en résulte une production singulière traduisant un état de l’être-là dans le tissu du monde, une production prônant la diversité des auteurs, des œuvres sensibles et inclassables pour le marché classique mais laissant place à un regard sur la complexité du réel.

Ainsi, Muriel Andrin tisse des liens entre les films, la spécificité de chacun, et dresse ainsi des portraits croisés qu’elle sublime. Elle explicite le rôle du Gsara, CBA, CVB, Camera Etc, Dérives, Graphoui, AJC, Zorobabel et enfin, des ateliers d’écoles. Tous sont ouverts aux projets sur un cinéma du réel, d'animation, documentaires, expérimentaux ou fiction, déployant une identité propre. Tous sont des lieux de rencontres, d’échanges, de pratiques artistiques diverses. Tous ont la volonté de soutenir la première œuvre d’un auteur. Car s'il est une ligne directrice commune aux Ateliers, c'est la faculté à être des lieux d'accueil, d'accompagnement, de laboratoire. Les ateliers mettent à disposition des professionnels du matériel pour les auteurs désireux de prendre la caméra afin de témoigner des évolutions du monde et des genres contemporains, de les éprouver en toute liberté : « …Les ateliers sont un outil précieux, leur valeur est créative ; l’initiation à la création filmique ou audiovisuelle, l’accompagnement de projets, la réalisation de films qui mènent à des discours alternatifs et à des modes de réflexion, sont autant de valeurs qu’il semble impossible de quantifier mais pas de valoriser… ».

Si l’auteure souligne les qualités des productions et la nécessité de leurs existences dans le paysage audiovisuel belge, elle nous renseigne aussi sur la fragilité de leur pérennité de par leur remise en question par les pouvoirs institutionnels : « …le temps du renouvellement a sonné : période de transition extrêmement délicate où le futur doit être envisagé-passer la main pour certains, imaginer de nouveaux contours pour d’autres , créer des liens forts avec l’extérieur, en un mot se remettre en question. La création et l’accès aux images ont été profondément altérés voire redéfinis par de nouvelles technologies, les pratiques s’étendent au travers de frontières poreuses, les publics ont également changés leurs modes de réception : une réflexion en profondeur doit accompagner ces nouvelles données. Ce travail a déjà commencé, à l’intérieur des ateliers mais aussi, notamment, dans les synergies créées au travers de projets communs……Aujourd’hui, la fragilité de l’ensemble est plus qu’indéniable, toute initiative, comme tout atelier, pouvant être très vite balayée par un remaniement des subsides octroyés… Comme pour d’autres matières culturelles et artistiques, tout revirement des instances publiques pourrait, à moyen terme, condamner les ateliers à une lente asphyxie. Le budget alloué à l’achat de matériel a ainsi progressivement été diminué et les ateliers sont aujourd’hui sous le coup de justifications perpétuelles ; comme d’autres secteurs culturels, ils font l’objet de demandes d’évaluation, voire d’infinies auto-évaluations… ».

En effet, dans un temps où l’économie prime et, dans lequel les restrictions en tout genre sont devenues le format normatif, les ateliers parviennent tant bien que mal à subsister, grandir, et continuent de produire et de permettre à des auteurs de s’exprimer, de produire une première œuvre originale dont certaines se retrouvent souvent en festival ou projetées lors de rencontres et de débats. D’autres ont vu leurs financements diminués. Chaque année ils sont remis en cause et doivent justifier la moindre chose.

C’est la raison pour laquelle un tel ouvrage est nécessaire.

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