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Cinéma et monde musulman

Publié le 06/07/2009 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication
Cinéma et monde musulman

Cultures et interdits

Dès son origine, l'Islam s'est démarqué des icônes chrétiennes en privilégiant l'art décoratif (l'écriture devenant elle-même, un sujet de l'art).

Dès lors que le cinéaste ne se prend pas pour un démiurge, qu'il réalise un cinéma de distraction, il peut s'épanouir : tel le cinéma populaire des Egyptiens qui est diffusé avec succès dans les pays voisins. Un cinéma qui, en Egypte, s'est créé au contact des nombreuses communautés vivant à Alexandrie et au Caire, à la fin du XIXème siècle. La belle étude, très bien chiffrée, sur l'industrie du cinéma égyptien de Madkour Thabet, nous signale, d'emblée, la découverte d'un cinéma - via l'évolution récente de recherches des archives cinématographiques nationales - qui a commencé dès 1896 à être projeté dans les salles et réalisé dès 1917 (La Dame Lorita de Mohamed Bayoumi). La propagation du cinéma égyptien, sa diffusion dans le monde arabo-musulman s'effectue autour d'un demi-milliard de personnes, « toutes reliées de Dakar à Djakarta, par une culture commune ».

Des années 80 à aujourd'hui, l'Arabie Saoudite (40% à 45%), le Koweït et le Golfe (20% à 25%) sont les pays les plus actifs dans la demande de films égyptiens. Le Liban est en pleine croissance et puis, il y a le Nord de l'Afrique (Tunisie, Algérie et Maroc – 6% à 5%) malgré la compétitivité des films européens et français (via la télé et les DVD pirates). Pour les deux Amériques et l'Europe, les chiffres sont de 2% à 4%.

La mondialisation numérique impose un nouveau code aux films égyptiens. « Mais l'échange de ces marchés mondiaux a besoin de blocs dans les communications et la protection générale afin que l'œuvre réalise juridiquement un revenu rentable ».
Certes, la censure officielle existe dans le cinéma oriental sur le terrain des mœurs, de la politique et du social, mais elle est souvent doublée d'une autocensure, sauf dans le passionnant cinéma iranien, ainsi que le souligne très justement Hormuz Kéy, qui se situe à la frontière entre le cinéma occidental et oriental. Les cinéastes iraniens posent des questions sur l'avenir de leur pays via le quotidien des enfants et des femmes en évitant toute propagande. Hormuz Kéy qui a réalisé Filles d'Iran - Un chemin secret dans la montagne en 2001 (toujours visible à Paris), n'hésite pas à se demander si le cinéma iranien ne connaît pas, en ce moment, en vivant dans l'effervescence, son âge d'or. Avant 1979, le cinéma prérévolutionnaire « offre une critique politique aiguë du gouvernement de l'époque ». Citons deux films parmi la dizaine de ceux que nous cite l'auteur : Gheisar de Massoud Kimiaei et la Vache de Dariush Mehrjui : deux réalisations ayant eu un impact considérable parmi le public.
Nous vous parlons, par ailleurs, de Moshen Makhmalbaf et Abbas Kiarostami (dans Persan, vous avez dit persan?)
Mayyar Al-Roumi et Dorothée Schmid nous parlent du cinéma syrien qui vit, quant à lui, dans un drôle d'entre-deux. Plutôt cinéma d'auteur, refusant l'alternative « Hollywood or socialism » (le cinéma de divertissement égyptien n'est vraiment pas leur cup of tea et les cinéastes refusent de devenir les auxiliaires du régime).
« Un cinéma muet, documentaire tourné en 2000 par Mayyar Al-Roumi, dresse le portrait de plusieurs grands cinéastes et résume les difficultés qu'ils ont rencontrées ». Dépasser le blocage actuel est leur souci. « Il est donc urgent de sortir de la maison. Avec des films, les cinéastes pourraient bien offrir une respiration nouvelle à toute une société ».
Le dialogue des images entre l'Europe et la Méditerranée d'Isabel Schäfer termine cet intéressant ouvrage sur la culture islamique et l'image en nous expliquant la réalité de l'axe de l’Union européenne avec les partenaires méditerranéens. Le décalage technique que vit le Sud par rapport au Nord lui fait craindre d'être le grand perdant de la mondialisation accélérée, de se trouver tant dans le marché de la consommation courante que des produits culturels dans l'omniprésence du marketing américain.
Petites statistiques : huit écrans de cinéma par million d'habitants en Méditerranée contre 56 dans les pays de l'Union européenne. « Les longs métrages distribués dans les pays méditerranéens proviennent environ à 80% des Etats-Unis, à 10% de l'Union européenne, et à 10% d'autres pays de culture arabe, en particulier de l'Egypte, traditionnellement grand exportateur de cinéma ». L'auteur souligne que tant sur les marchés européens que sur les marchés méditerranéens le cinéma américain est demandé par le public. Là, nous en sommes moins certains. Nous pensons que le marketing, qui dépense la moitié du budget de la réalisation d'un film, est aussi efficace que dans le monde de l'alimentation consommée via la pub affichée dans les supermarchés.
Par contre, Schäfer a raison d'insister sur la nouvelle donne technologique qu'ouvre le cinéma numérique. L'Asie nous le démontre. Films à petit budget, avec de faibles équipes, projections à moindre coût que le système pellicule/salles et bientôt via les satellites.
Autre souci, les archives cinématographiques, l'héritage des films arabes qui, pour le moment, s'accomplit uniquement via l'Institut du monde arabe à Paris, le CNC en France et le British Film Institute.
Lancés en 1992, les premiers programmes MED-MEDIA ont continué à centraliser les subventions offertes aux différents opérateurs et, donc, en soutenant de grands projets plutôt qu'une multitude de petits projets. Mais aussi en développant CINEMAMED (Festivals), MEDEA (pré-production de films co-produits) et EUROPA CINEMAS (distribution et diffusion de films), ELLES... AU ABORD DE L'AN 2000 (documentaires sur les personnalités féminines de la région méditerranéenne), EUROMEDIATION (studio de production de dessins animés) et CAPMED (pour restaurer le patrimoine audiovisuel).

Le déséquilibre dans la circulation des images entre l'Europe et la Méditerranée reste dans un sens, celui du Nord, sauf, et il faut le signaler, via des chaînes télévisées comme ARTE, le troisième programme de la télévision publique allemande ou la RAI.

Cinéma et monde musulman, cultures et interdits, éditions l'Harmattan.