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Cool Abdoul de Jonas Baeckeland

Publié le 11/10/2021 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La rage au ventre

Dans Rocky III, le boxeur fictif préféré de toute la planète, Rocky Balboa, attend d’avoir atteint le sommet – titre de champion du monde, fortune, célébrité – pour tout foutre en l’air. L’argent et le confort l’embourgeoisent et son arrogance lui fait perdre « l’œil du tigre », du moins jusqu’à ce que sa fidèle Adrian lui remonte les bretelles sur la plage !... Ismail Abdoul, lui, n’attend même pas d’avoir remporté le match qui en fera une légende de la boxe en Europe pour accumuler les conneries !... 

Cool Abdoul de Jonas Baeckeland

Début des années 90. Ismail (Nabil Mallat), surnommé « Cool Abdoul » sur le ring et dans sa cité HLM islamisée de Gand, est un jeune boxeur talentueux, d’origine mauritanienne, qui commence à se faire une solide réputation dans le milieu. Lorsqu’il devient triple champion de Belgique, les portes de la gloire s’ouvrent à lui et il vise le championnat d’Europe. Mais Ismail n’a ni la patience ni la discipline requises pour arriver à ses fins. Au grand dam de son entraîneur, Ron (Johan Heldenbergh), figure paternelle qui lui pardonne trop facilement ses erreurs, il veut tout, tout de suite, et agit sans réfléchir aux conséquences de ses actes. 

Ainsi, dans un premier temps, Ismail accepte que sa carrière et ses matchs de haut niveau soient financés par son ami Mike (Steef Cuijpers), baron local de la drogue. Contraint, entre deux matchs, de travailler comme videur dans la boîte de nuit de ce dernier, plaque tournante d’un fructueux trafic, il reçoit une liste de dealers qu’il doit laisser entrer gratuitement. Mais ce n’est que le début de ses activités illégales : le boxeur se retrouve bientôt à la tête d’un gang de casseurs qui vont livrer une véritable guerre à la bande de Mike, devenu son concurrent. Ismail est sans cesse partagé entre ses ambitions sportives, incapable de faire les sacrifices nécessaires pour concrétiser son rêve, et son statut montant de caïd local. Surveillé par un policier tenace (Jan Hammenecker), qui tente d’obtenir sa collaboration pour envoyer Mike en prison, Ismail néglige son entraînement et met en péril le couple qu’il forme avec la bienveillante Sylvie (Anémone Valcke), qui, malgré de nombreux efforts, n’arrive pas à le ramener dans le droit chemin. 

Nous sommes donc ici très loin du caractère enivrant et positif d’un Rocky et thématiquement plus proches de Raging Bull, avec un protagoniste égoïste, attiré par la violence et loin d’être animé des meilleures intentions, malgré son attachement bien réel envers ses proches (compagne, parents, frères, entraîneur). Apparemment irrécupérable, Ismail se comporte souvent comme un menteur pathologique, incapable de résister à une solution « facile » (autrement dit l’argent mal gagné). Très religieux, il fréquente la mosquée, mais, même lorsqu’il sort de sages maximes à son entourage (« Dieu ne te donne pas ce que tu veux, mais ce dont tu as besoin »), il semble ensuite, de manière hypocrite, faire tout le contraire de ce qu’il prêche. Pas cool, Abdoul !... Perpétuellement en colère, Ismail bout de l’intérieur et, par manque de confiance en lui, tente désespérément de trouver un raccourci vers le podium. Sans réelle raison, car, une fois sur le ring, il s’avère qu’il est réellement le meilleur. Mais Ismail ne respecte personne, encore moins lui-même. D’où lui viennent cette attitude autodestructrice et cette rage ? Une rédemption est-elle encore possible ou est-il déjà trop tard ? 

Dans la peau de de ce personnage borné, marmoréen, qui, à défaut d’être complexe, s’avère surtout paradoxal (il se persuade d’agir dans l’intérêt de ses proches alors qu’il ne leur cause que des soucis), Nabil Mallat fait preuve d’une présence physique indéniable. Ce sont les scènes qu’il partage avec l’excellente Anémone Valcke que l’on retiendra : même devant la femme qu’il aime, Ismail est rarement sincère. Par honte, par haine de soi, il affabule, poussé par on ne sait trop quels démons à foutre sa vie et son talent en l’air. « Tu es une promesse vide », lui dit son entraîneur lors d’une dispute. En effet, le personnage est tragique parce qu’il est son propre pire ennemi. 

Ismail évolue dans un univers à son image : le réalisateur, qui signe son premier long métrage, nous plonge dans un Gand nocturne cauchemardesque, dangereux, sordide, où les héros se laissent corrompre et où l’on observe une jeunesse désoeuvrée qui ne trouve pas d’autre solution pour s’en sortir que la délinquance et la violence. Même les salles de compétition pour les grands championnats de boxe ont l’allure de hangars glauques à souhait et les matchs (malheureusement trop vite emballés) ont l’allure de combats de rue. On sort de la salle… KO.

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