Côté cinéma/motifs, une nouvelle collection éditée par Yellow Now, l'éditeur le plus prolixe dans le geste cinématographique de notre pays vient de voir le jour. Deux livres démarrent la série : L'attrait de la lumière par Jacques Aumont et L'attrait des nuages de Dominique Païni. Qu'est-ce à dire ?
Côté cinéma/motifs
L'attrait des nuages
Tout d'abord, les rêveries de Baudelaire : « Qu'aimes-tu donc extraordinaire étranger ? – J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... les merveilleux nuages » (L'Etranger in Le Spleen de Paris). Baudelaire donc, mais aussi Théorie du nuage d'Hubert Damisch (la thématique picturale du Moyen Age jusqu'à la fin du XIXème siècle, en passant par la peinture chinoise du vide et du plein... un sentiment nouveau de l'espace tendu vers l'infini).
Païni part de l'hypothèse que les Bergman, Antonioni, Resnais et Fellini filment leur pensée. À cette idée Deleuzienne, il y ajoute que cette pensée est la raison pour laquelle ils prennent « autant de soin pour montrer les images ». Mais plus encore, il explique leurs obsessions des aléas météorologiques lors des tournages. « Y aura-t-il ou non des nuages ? Les nuages interviendront-ils au cours d'une prise ? (…) Les plus grands cinéastes accueillent les nuages en se soumettant à leurs caprices, car les nuages comptent parmi les « objets poétiques » les plus oniriques ». Pour preuve, re(voir) Barry Lyndon de Stanley Kubrick (John Alcott à la photo), Days of heaven de Terence Malick (Nestor Almandros à la photo), Eldorado de Bouli Lanners (Jean-Paul de Zaeytijd à la photo), Nuages, lettres à mon fils de Marion Hänsel (Didier Frateur et Pietro Corradi à la photo).
Païni nous parle de deux étreintes sensuelles autour des nuages du plaisir. D'une part, la séquence finale d'Une partie de campagne de Jean Renoir. Après l'étreinte, le couple s'est désuni. Henriette regarde le ciel, qui comme Henriette pleure. Les gouttes de pluie démultiplient à l'infini la larme d'Henriette. Un orage éclate. D'autre part, la séquence finale de Bissfuly Yours d'Apichatpong Weerasethakul. La jeune femme s'assoupit après avoir fait jouir son amant, « un long plan de nuages survient » en deux parties soleil et ombres à la verticale et l'horizontale. « Chez Weerasethakul, souligne Païni, la nature est du temps qui se réalise ».
Un petit livre étourdissant.
2. L'Attrait de la lumière
Parler de la lumière pour parler de cinéma est un truisme, convient Jacques Aumont, dans l'Attrait de la lumière. Mieux encore, Auguste et Louis Lumière, au patronyme impeccable, en voulant fixer le mouvement, se sont servis d'un cadre photographique pour capter l'état des choses. Le cinématographe que met au point Louis Lumière vient du grec Kinêma, Kinêmatos, mouvement, et graphein, écrire (1). Un appareil qui, cinq cents ans après Gutenberg, possèdera autant d'applications que les presses de ce dernier.
Du mouvement à la lumière, ne passe-t-on pas du ressenti au visible de l'invisible ? « La lumière conditionne la visibilité du monde, écrit Aumont, et cependant, elle-même n'est pas visible. On ne voit pas plus la lumière que le vent, le courant électrique, l'influx nerveux; autant dire qu'on ne la voit que par certains de ses effets : rayons de soleil perçant les nuages ou traversant les arbres. Scintillements sur l'écran ».
Il ne s'agit pas seulement d'inscrire la lumière sur une pellicule négative, il faut que celle-ci soit impressionnée, développée, montée et projetée sur un écran. C'est devenu « le dispositif canonique du cinéma, depuis le cinématographe et ses contemporains (à l'exception irréductible du Vitascope d'Edison) ». Passer de l'invisible au visible, du négatif au positif projeté sur un écran.
Revenons à un autre film d'Apichatpong Weerasethakul, Tropical Malady. Dans le second volet, le soldat, perdu au cœur de la jungle, erre dans la nuit. Un petit point lumineux surgit et passe d'un arbre à un buffle. L'arbre est-il envahit de lucioles ? Allez savoir. « L'admirable dans tout cela, est que jamais on ne quitte le personnage, et rien surtout ne vient nous imposer un au-delà : si merveilleux cela soit-il, cela se passe dans notre monde, mais enchanté ».
(1) Synopsis vient du grec synoptikon : qui embrasse d'un seul coup d'oeil. Il nous semble opportun de rappeler ce que nous devons à la Grèce à une époque où l'Allemagne la traite comme un boulet financier tandis que le reste de l'Europe l'oublie.
L'attrait de la lumière de Jacques Aumont, éditions Yelow Now, collection Côté-Cinéma/motifs.
L'attrait des nuages de Dominique Païni, éditions Yelow Now, collection Côté-Cinéma/motifs.