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Coureur de Kenneth Mercken

Publié le 08/03/2019 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Les zombies aux vélos

Il y quelques mois seulement, le réalisateur Koen Mortier proposait Un Ange, récit des dernières heures tragiques d’un champion cycliste inspiré de la vie de Frank Vandenbroucke. Cette fois, Koen Mortier se contente de produire Coureur, qui nous replonge dans un univers aux thématiques similaires : celui, étonnamment sordide, du cyclisme européen. Cette fois, le réalisateur Kenneth Mercken s’inspire de son propre passé turbulent d’ancien espoir de ce sport décidément vecteur de nombreuses tragédies.

Felix Vereecke (Niels Willaerts) a beau être un personnage fictif, Coureur est bel et bien l’autobiographie fantasmée du réalisateur. Le film décrit les rêves de gloire et le revers de la médaille de ce jeune coureur flamand, déterminé à faire tout ce qui est en son pouvoir pour réussir, quelles que soient les conséquences pour sa santé et pour son entourage. Felix a grandi dans le milieu des courses cyclistes d’une ligue de vétérans dont son père Mathieu (Koen De Graeve) était la figure de proue. Gamin solitaire et peu bavard, Felix idolâtrait son père mais ce dernier n’était en fait qu’un sportif médiocre, verbalement abusif, avare en affection, qui gérait ses frustrations (son alcoolisme a mis fin à sa carrière) en rabaissant tous les membres de sa famille. Mathieu et Felix évoluent dans un milieu où l'alcool, la violence et les substances interdites sont leur quotidien. Depuis son plus jeune âge, Felix fait tout son possible pour gagner l’attention et le respect de Mathieu, en vain.

Comme son père, le gamin au vélo a cette idée fixe de devenir pro. Après avoir remporté des championnats nationaux juniors, Felix, définitivement en froid avec le monstre paternel, fait ses valises pour l’Italie, terre promise du cyclisme, où il est intégré à une équipe semi-professionnelle. La compétition cruelle, des problèmes psychologiques de plus en plus sérieux et une santé fragile menacent cependant de le mener à sa perte. Mais plutôt que d’écouter sa conscience et le bon sens, Felix fonce toujours la tête la première et adopte les accoutumances nocives du monde dépravé qui l’entoure. Bientôt, son corps ne supporte plus les efforts et les sacrifices laissent la place au dopage, malgré des risques élevés, pour lui, de développer un cancer. Coureur décrit une époque pas si lointaine où de grandes équipes au fonctionnement mafieux utilisaient en masse des substances améliorant les performances : EPO, hormones de croissance, testostérones, corticoïdes, stéroïdes, salsepareille… même le Prozac ! De nombreux fluides qui coulent dans les veines de Felix (et de ses coéquipiers), aussi insidieusement que l’ombre de Mathieu et de ses injures pèsent sur son moral.

Très éloigné des conventions du film sportif, Coureur est avant tout une exploration sordide à souhait de la masculinité toxique chez le sportif belge. Ni Felix ni Mathieu ne sont des personnages attachants, tous deux se comportant généralement de manière détestable. Felix est une tombe, un garçon asocial et monomaniaque, au visage éternellement impassible, communiquant par demis-borborygmes. Mathieu quant à lui, aime être le centre d’attention mais n’y arrive que lorsqu’il a une quinzaine de bières dans le ventre. Il s’avère également d’une vanité incompréhensible, jaloux des performances de son fils, considérant que ses amis doivent sans cesse le couvrir d’éloges.

La noblesse du sport en prend un sacré coup ! Seule la gloire, l’argent et le vain espoir d’échapper à une vie de médiocrité comptent…

En fin de compte, ni Felix ni Mathieu n’ont le moindre respect pour la discipline d’Eddy Merckx, trop obnubilés par leur besoin d’échapper à leur morne quotidien dans de pluvieux villages de la province belge ressemblant à des villes-fantômes. Gagner très vite un maximum d’argent et se faire respecter à tout prix par les moyens les plus inavouables : voilà la malédiction familiale qui se transmet de père en fils !

« Derrière chaque champion, il y a des centaines de perdants » et le réalisateur s’est échiné à raconter leur histoire. Les intentions sont belles, mais on ne peut que souligner la sensation poisseuse de malaise qui parcourt ce premier film. Non, Coureur n’est décidément pas un film sur le sport, il en est l’antithèse. Kenneth Mercken signe un film austère et souvent déplaisant, sans la moindre note d’humour ou de répit. On en sort abattu, avec l’envie irrépressible de prendre une douche... mais peut-être aussi déterminé à faire en sorte que nos belles passions ne deviennent jamais le territoire de nos démons.

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