Covid Boys se déroule durant la seconde période de confinement. Simon, jeune documentariste, s’intéresse à deux humoristes, ardents pourfendeurs combattant le coronavirus. Cependant, leur lutte prend des aspects inquiétants. Ils bouleverseront si bien le récit et les spectateurs qu’il est peut-être davantage conseillé de se lancer dans le film à l’aveugle afin de conserver intacte la surprise.
Covid Boys de Simon Torbeyns, Oscar Briou et Eduard de Vos
La première question qui se pose, lorsque l’on voit sortir en 2024 un film qui revient sur la seconde période de confinement, c’est sa pertinence par rapport au contexte présent. La période covid est désormais derrière nous. Elle est même si bien derrière que l’on pourrait penser à une sorte d’oubli collectif, comme s’il n’y avait finalement rien eu d’autre qu’une parenthèse qui ne mérite pas qu’on s’y attarde. Dès lors, c’est peut-être de ce point de vue là qu’un film sur la période covid est pertinent aujourd’hui : une sorte de travail de mémoire sur ce qu’elle sous-tendait, sur ses extrémités, sur ce qu’elle peut encore nous enseigner à propos de ce qui fonde nos sociétés. Et c’est exactement ce que fait Covid Boys, cet ovni cinématographique à la croisée du documentaire et de la fiction qui recèle bien plus de qualités que ce que l’on peut en croire à travers les synopsis circulant dans les programmes des cinémas et sur les internet.
La première idée que l’on peut s’en faire, c’est qu’il s’agit d’un documentaire assez classique à propos d’un fait divers sans grande importance. Durant le second confinement, deux personnes en combinaison blanche, Oscar et Eduard, ont décidé de sensibiliser la population bruxelloise aux mesures sanitaires en leur rappelant les règles essentielles… et surtout en les rappelant à l’ordre quand elle transgresse les règles par un nez qui dépasse, par un manque de respect des distanciations sociales et autres infractions.
Simon Torbeyns a alors décidé de les suivre au jour le jour, s’engageant parfois lui-même dans les activités du duo. Autrement dit, il ne s’agirait rien d’autre que de rendre compte d’un phénomène négligeable qui aura nourri le journal télévisé pour apporter une touche de légèreté dans une période particulièrement tendue. En une recherche internet, on retrouve effectivement un reportage de la RTBF à propos de ces deux personnages extravagants se promenant en combinaisons ; un équivalent « sympathique » aux hommes en blanc qui ont tant terrorisé la Chine durant un confinement bien plus drastique que le nôtre.
Cependant, et c’est là que cela devient plus qu’intéressant, Covid Boys recèle bien davantage. On pourrait le qualifier de croisement entre une expérience sociétale (pensez à l’expérience de Milgram), le film C’est arrivé près de chez vous, un épisode de l’émission Strip Tease et un dérivé particulièrement tordu de caméra cachée. Bien plus qu’un documentaire anachronique qui aurait davantage sa place dans un cinéma de 2022, il s’agit d’un documenteur apte à satisfaire les adeptes d’expériences hors du commun et d’idées novatrices.
Les covid boys sont en réalité des acteurs ayant trouvé une parade pour continuer à jouer en incarnant la lutte contre le covid. L’objectif premier consistait à rappeler aux passants les mesures pour lutter contre la propagation du virus. Ils ont si bien rencontré l’adhésion des passants, des médias et des autorités (ils ont même rencontré Philippe Close, le bourgmestre de la Ville de Bruxelles, à qui ils ont eu l’audace de demander un financement… avec succès). C’est donc un film particulièrement fascinant, puisque ses créateurs ont réussi à aspirer la réalité pour qu’elle prenne part à leur fiction.
C’est là que l’on retrouve les conclusions de l’expérience de Milgram, puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’une mise en évidence du degré d’obéissance que présente la population bruxelloise et ses élites face aux mesures coercitives et aux atteintes aux libertés fondamentales qui en découlent. Prenez deux quidams, mettez-leur des combinaisons intégrales, et tout le monde les approuvera même s’ils n’ont ni compétence médicale ni habilitation policière.
La part C’est arrivé près de chez vous nous mène en revanche dans la seconde partie du film, où cette fois il est question de glisser depuis l’aspect documentaire vers des épisodes de plus en plus fictifs. Les covids boys dégénèrent de plus en plus pour se transformer en agresseurs. Si le début du film prêtait à sourire en observant ces doux illuminés à l’œuvre, un malaise grandit jusqu’à devenir particulièrement inconfortable. Après une première phase où le spectateur est rendu complice, amadoué par des scènes où Oscar et Eduard se présentent comme des doux dingues relativement inoffensifs, le film joue avec cette connivence en transformant son public en témoin d’exactions. L’évolution du rôle du réalisateur est finalement symbolique de cette transformation. D’abord extérieur, il est de plus en plus intégré dans le groupe. Covid Boys rejoint donc le film de Remy Belvaux et André Bonzel par cette progressive descente aux enfers où les conséquences conjuguées de l’obéissance servile et de la coercition sont tirées jusqu’au bout.
À la fois documentaire qui fictionnalise la réalité en agissant sur elle et documentaire qui se fictionnalise en incorporant des séquences mises en scène, Covid Boys est par conséquent une œuvre atypique qui dépasse les limites de l’époque qu’elle dépeint à travers un dispositif très audacieux qui a très peu d’équivalents. En ce sens, c’est une excellente surprise qui mérite le statut de classique pour quiconque aura la volonté de l’accueillir dans toute son excentricité.