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Dealer de Jeroen Perceval

Publié le 09/11/2021 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

L’ange déchu

Comédien qui arpente les séries de la VRT et pas mal de films d’auteurs (Dagen Zonder Lief, Bullhead, Borgman), Jeroen Perceval a une gueule de petite frappe et souvent des rôles de méchants hargneux ou de paumés idiots. Mais en 2015, pour ses premiers pas derrière la caméra, il réalisait un premier court-métrage assez étonnant, entièrement tourné depuis le point de vue d’un enfant pris dans un engrenage de violence qui l’emmenait à côtoyer l’abîme. August se révélait être un réalisateur sensible et audacieux. Avec Dealer, Perceval se penche à nouveau sur l’enfance, son innocence et les violences qui la maltraitent pour réaliser un premier long-métrage qui plonge, cette fois, totalement dans les noirceurs de l’abîme. Et interroger son métier de comédien.

Dealer de Jeroen Perceval<br />
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D’entrée, Dealer nous conduit dans une sorte de nuit rouge et poisseuse dans le sillage de Johnny, petit gamin hâbleur qui trace la route sur sa bicyclette tel un lutin malicieux et roublard. Johnny vend de la drogue, n’a peur de rien, gueule sur les flics, ne recule devant aucune occasion de piquer un portefeuille. Mais il se trouve que le portefeuille en question qu’il choure dans une boîte de nuit huppée est celui d’une vedette de la scène et de l’écran. Comédien de renom, Antony est en pleine crise de sens, sur sa vie, son métier. Il vit des nuits fiévreuses et hallucinées qui le mènent au bord de l’inconscience et du gouffre. Entre eux, un jeu commence à se tramer, à qui jouera le père, à qui fera le fils. En face du comédien, Johnny qui joue les « gangsters » commence à percevoir dans l’art de l’acteur un chemin par où se construire. Alors, Antony et Johnny vont faire, durant un temps, office l’un pour l’autre d’ange gardien, dans une tentative commune de rédemption. Un temps seulement. 

Filmant souvent à hauteur du gamin, Perceval suit Johnny dans ses allées et retours entre tous les lieux qu’il occupe ou tente d’habiter. Chez sa mère d’abord dans de très belles scènes de complicité où l’amour l’exalte mais où l’inceste aussi le frôle et où surtout l’abandon l’écrase. Elle, peintre, est sujette à des accès de psychose qui la mène en hôpital psychiatrique. À Johnny de gérer l’argent, le sommeil de sa mère ou ses folies. Au foyer ensuite où il séjourne et où une sorte de cadre tente de lui être instauré, avec d’autres gosses de son âge tout aussi paumés. Chez Antony qui l’accueille dans un espace luxueux qui n’a rien à voir avec son quotidien. Ou dans la cage terrorisante de son boss qui s’amuse au chat et à la souris avec ses petits exécutants. Errant entre des mondes adultes tous aussi violents les uns que les autres, baladé par des rapports affectifs qui l’écrasent et l’enferment, Johnny tente de frayer une voie qui lui soit propre dans un début de normalité. Mais les nuits dissolues traversées par l’enfant sont des sortes de cauchemars où rêves et réalités se croisent sans cesse et se mélangent. Tissées de crises, de drogues et de sexes, elles s’enlisent à leur tour dans des jours gris de ferrailles et froids de violence. Alors, le film, peu-à-peu, enferme la course folle de l’enfant dans des impasses. Refusant d’avancer vers un happy ending qui l’aurait transformé en conte de fée grotesque et caricatural, Dealer est un film noir et moraliste, exalté et lyrique, qui questionne la place de l’art dans notre société « malade » et corrompue par ceux et celles qui le trahissent. Au final, briser les rêves peut, littéralement, briser le cœur des innocents.

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