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Dernier amour de Benoît Jacquot

Publié le 12/03/2019 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Le chagrin de Casanova

Au XVIIIème siècle, Casanova, légendaire séducteur connu pour son goût du plaisir et du jeu, arrive à Londres, en exil. Dans cette ville dont il ignore tout, le libertin croise la route d’une prostituée, Marianne de Charpillon, qui l’attire au point qu’il en oublie les autres femmes. L’aventurier vénitien est prêt à tout pour arriver à ses fins mais La Charpillon se dérobe sans cesse, se refusant à lui sous divers prétextes. Enfin, elle lui lance un défi : « Vous ne m’aurez que si vous cessez de me désirer ! » Le marivaudage ludique cède alors la place à un drame crépusculaire lorsque Casanova comprend que la seule femme qu’il aime avec passion est aussi la seule qui lui échappera. Dès lors, le séducteur vieillissant songe au suicide.

De La Désenchantée au Journal d’une Femme de Chambre en passant par La Fille Seule, L’Ecole de la Chair et Pas de Scandale, l’œuvre, inégale, de Benoît Jacquot s’est souvent penchée sur l’incompréhension dans les rapports hommes-femmes. Presque 20 ans après avoir illustré la vie d’un autre auteur scandaleux du XVIIIème siècle (Sade, avec Daniel Auteuil), il s’intéresse cette fois à un de ses contemporains en adaptant « Les Mémoires de J. Casanova de Seingalt, écrits par lui-même », rédigé en français entre 1789 et 1798. Et ce sont les frères Dardenne qui produisent !

Mais le personnage principal de Dernier Amour n’est pas forcément celui que l’on croit. En effet, il serait permis d’argumenter que Marianne de Charpillon est la vraie, la seule héroïne du film. Cette mystérieuse et envoutante fille de joie sera celle pour qui Casanova va tenter, maladroitement et en vain, de se racheter une conduite. En se refusant à lui, elle veut lui faire comprendre que, par définition, le désir, c’est le retard des choses. Secrètement éprise de Casanova, elle le teste avec un cruel jeu du Chat et de la Souris, cherche le point où ce dernier va enfin comprendre qu’elle rêve d’amour et rejette le concept de possession. La délicieuse Stacy Martin incarne cette femme moderne avec insolence, ainsi qu’une forte dose de sex-appeal.

 

Dernier amour de Benoît Jacquot

 

Le réalisateur aurait pu tomber dans le piège du pamphlet post-#metoo et faire de son Casanova une sorte de Harvey Weinstein perruqué. Certes, Casanova est un opportuniste qui possède ses conquêtes sans les aimer. Mais c’est en fait une peur panique de succomber à l’amour qui paralyse le tombeur légendaire. Casanova reste toujours profondément honnête vis-à-vis de sa conduite. Les femmes, pour lui, ne sont pas des proies, mais de multiples occasions de combler un vide affectif, de se lier brièvement. On constate dans sa relation avec la Cornelys (Valeria Golino), aristocrate déchue, qu’il garde des relations complices avec certaines de ses anciennes conquêtes.

 

Dernier amour de Benoît Jacquot

 

Le film le montre plus pathétique et gentiment ringard que malintentionné ou calculateur. Cette relation avec la Charpillon est pour lui, alors qu’il a déjà atteint un âge mûr, une expérience inédite. Régulièrement humilié par la jeune femme, il tombe amoureux pour la première fois… et se rend compte qu’il ne comprend rien à l’amour ! Si Casanova reste aimable et respectueux, le réalisateur ne le montre que rarement sous son meilleur jour : vieillissant, fragile, boulimique, perdu dans une ville dont il ne comprend et maitrise pas la langue, la version incarnée avec sobriété par Vincent Lindon n’a ni la fougue grotesque de Donald Sutherland (dans le Casanova de Fellini), ni la malice de Marcello Mastroianni (Casanova ’70), la virilité de Vittorio Gassman (Le Chevalier Mystérieux), l’humeur chantante de Georges Guétary (Les Aventures de Casanova), le caractère immédiatement iconique d’Alain Delon (Le Retour de Casanova) ou encore la jeunesse et l’énergie de Heath Ledger (Casanova version 2005). Ici, Casanova est un homme perdu, à la recherche de son glorieux passé. Il perd peu à peu sa dignité et ses aventures n’amusent plus guère qu’une poignée d’amis aristocrates pathétiques : La Cornelys (Valeria Golino), version féminine du séducteur, ruinée et bannie d’Angleterre, et Lord Pembroke (Christian Erickson), un riche vieillard lubrique. Le réalisateur taille un costard sur mesure à cette aristocratie décadente et ses flonflons ridicules, notamment lorsqu’il filme un Lord respectable cul-nu, en train de déféquer dans le jardin d’une maison-close au vu de tout un chacun.

Avec sa mise en scène cérébrale et minimaliste bressonien, Jacquot fait le portrait d’une tristesse insondable d’une aristocratie momifiée et grotesque, bien trop occupée à baiser, manger et boire pour voir que le monde se dérobe sous ses pieds. Privilégiant l’intime au spectaculaire, le réalisateur fait surtout le portrait émouvant d’une femme moderne et digne, confrontée à l’incompréhension d’un vieil homme triste dont les certitudes et les valeurs archaïques sont en train de s’écrouler.

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