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En avant la musique ! Kathleen Ferrier

Publié le 01/04/2012 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Chaque année, sous les neiges du mois de mars, le Festival International du Film sur l’Art de Montréal présente sa sélection de films venus du monde entier sur des peintres, des musiciens, des sculpteurs, des littérateurs etc. Cette édition, qui célèbre ses noces de perles (30 ans déjà !), n’a visiblement pas encore fini d’interroger ce genre bien curieux qu’est le film sur l’art. La Belgique, présente à la fête depuis la première édition, concourt cette année avec deux films : About canto de Ramon Giesling, une coproduction avec les Pays-Bas, et Kathleen Ferrier de Diane Perelsztejn, en coproduction avec la France. Deux films sur la musique, certes mais aussi différent l’un de l’autre que le jour peut l’être de la nuit.

La Belgique et le film sur l’art, c’est une longue et heureuse histoire. Henri Storck, Paul Haesaerts ou encore André Delvaux ont écrit leur nom en lettres de feu sur l’histoire de ce genre à part, faisant figure de pionniers. Cette tradition ne s’est en rien tarie puisque depuis deux ans, la Belgique a raflé les Grands Prix de ce festival internationalement reconnu (2010 : Archipel Nitrate de Claudio Pazienza – 2011 : Antwerpen centraal de Peter Krüger).

Avec About canto, Ramon Giesling ose un parti pris pour le moins original. Loin de nous conter la vie d’un musicien (en l’occurrence ici Siméon ten Holt), il interroge ceux qui ont été marqués à vie par son Canto ostinato, une oeuvre minimaliste pour 4 pianos, écrite entre 1976 et 1979. Durant 78 minutes, le cinéaste nous fait entrer dans la sphère intime de ceux qui vouent un véritable culte à ce morceau. Expérience mystique plus que musicale, le canto finit par envahir le spectateur pris lui aussi dans cette transe répétitive… Ferions-nous partie, sans le savoir, de la secte des adorateurs obstinés ? Allons-nous, à l’instar de ce jeune homme, nous faire tatouer les notes sur le bras gauche ou bien, comme cette femme, nous laisser envahir jusqu’au point de divorcer ? La rencontre avec le compositeur, qui a lieu à la dernière extrémité du film, nous laisse, lui aussi, joliment abasourdi !

Dans un style plus sage, Diane Perelsztejn, a choisi la biographie filmée pour nous parler de la cantatrice britannique Kathleen Ferrier et signe un film en forme de lettre d’amour.

Rien, ou presque, ne prédisposait cette jeune femme issue d’un milieu modeste, simple employée au central téléphonique du General Post Office à devenir ce qu’elle allait devenir. Diane Perelsztejn nous conte, en noir et blanc, l’ascension fugurante de la contrealto qui, par sa voix exceptionnelle est parvenu à mettre à genoux le monde entier. Une vie en conte de fée, qui ne finit hélas pas par un joyeux « ils vécurent etc », et où l’ogre s’incarna en cancer qui l’emporta à l’âge de 41 ans.

Kathleen Ferrier est une sorte d’anti Callas, d’Anna Magnani de la musique qui surclasse pourtant toutes ses rivales par l’impétuosité de son jeu et l’intensité de sa présence. Belle, grande, franchement rieuse, Kathleen, tout au long de sa courte carrière, a su rester une femme accessible. Et pourtant, lors de son passage à La Scala, Herbert von Karajan, dur et intransigeant fut ému aux larmes. Le célèbre chef d’orchestre Bruno Walter n’hésitait pas à affirmer qu’il avait vécu deux expériences musicales extraordinaires tout au long de sa vie, « Kathleen Ferrier et Gustav Malher », et il précisait, « dans cet ordre ». En 8 ans, la contrealto a donc profondément marqué le monde de la musique. Sans jamais s’appesantir sur ce destin tragique, Diane Perelsztejn rend hommage à la cantatrice, laissant une bonne part à la musique. Le manque d’archives visuelles, (quelques très belles photos, quelques enregistrements) est pallié par les interviews de spécialistes et le dialogue de sa voix avec l’ensemble contemporain Ictus. Marthe Keller prête sa voix à ce documentaire certes hagiographique, mais humble et pudique, à l’image même de son sujet.

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