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En los Márgenes (À contretemps) de Juan Diego Botto

Publié le 01/08/2023 par Basile Pernet / Catégorie: Critique

En los Márgenes (À contretemps) est le premier long-métrage de fiction, semble-t-il, à aborder les conséquences de la crise de 2008 en Espagne. Le récit se concentre sur trois Madrilènes livrés à un combat décisif pour leur avenir personnel, mais également collectif. Azucena, employée dans un supermarché vivant avec son mari et son jeune fils, se bat pour ne pas être expulsée de son logement. Rafael, avocat engagé dans la lutte sociale, tente de retrouver la mère d’une jeune fille livrée à elle-même et interceptée par la police. Enfin, Teodora, sur le point d’être elle aussi expulsée de son logement, désespère de joindre son fils Germán, dont le présent est des plus incertains.

En los Márgenes (À contretemps) de Juan Diego Botto

En los Márgenes constitue une émouvante épopée sociale contemporaine, dans laquelle trois protagonistes se rapprochent dangereusement du mur, ou y sont déjà, à quelques centimètres, sans en avoir forcément une pleine conscience. Trois personnages infiniment réalistes qui luttent contre la montre et le malheur, dans un schéma de perpétuelle contrariété. Rafael, devant faire les preuves de sa responsabilité devant son beau-fils Raúl, mais surtout devant son épouse Helena. Pour lui, rien ne se passe comme il veut : il a toujours quelques déplorables secondes de retard et est systématiquement dérangé dans les moments décisifs. Azucena, bien qu’elle soit très soutenue par ses semblables, reste seule dans son combat contre les banques et les autorités publiques ; elle est tout aussi seule à tenir sa propre famille à bout de bras. Son mari, peu à l’aise avec ses engagements protestataires, se détourne d’elle et, contre toute attente, finit par apporter son soutien à son collègue de travail, Germán. Ce dernier est victime d’une souffrance plus insidieuse encore, celle qui déclenche le remords de l’acte manqué. La peur qu’il a de décevoir ses parents et de se voir responsable de leur malheur le gangrène à tel point qu’il esquive les appels répétés de sa mère.

Trois parcours différents, qui à aucun moment n’interagissent, mais qui trouvent un point de concordance dans la souffrance sociale et familiale qui les caractérise. Une journée trop courte pour sauver son fils, sa mère, ou pour faire retentir la parole des opprimé.es. Le film oppose très clairement le chahut de l’espace social d’une part, et le silence éternel d’une solitude éprouvée d’autre part. Toutefois, ces deux espaces communiquent plus étroitement à mesure que le récit progresse, jusqu’à se confondre en une seule foule de manifestants dans la rue.

Mais cette journée peut également devenir celle où, pour la première fois, on s’intéresse à ce que l’on a souvent négligé, aimant comme on ne l’a sans doute jamais fait. Ainsi, un peu d’humour s’immisce par moments dans ce drame implacable, comme pour consolider une complicité naissante ou retrouvée entre deux personnages. C’est aussi la force morale de chacun qui est pointée du doigt, même quand aucune indulgence ni aucun sursis n’est accordé. D’un côté la persévérance, de l’autre la dérision ; à chacun son arme pour rendre le désespoir moins immédiat, moins violent. Aussi le film nous montre que seule l’union collective peut briser un agrégat économique et social corrompu. Le jeune Raúl, qui rejoint finalement le combat de son beau-père, porte en lui le germe d’un idéal de vie détaché du système ordinaire, des valeurs empiriques et des stéréotypes de genre. En los Márgenes est un film de justesse et de précision, qui parvient sans difficulté à universaliser son propos et à poétiser ses intentions ; un film très bien écrit, dans lequel on peut observer Penélope Cruz au sommet de son talent, maîtrisant une fois de plus les langages dramatiques avec une virtuosité des plus troublantes.

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