Miguel Soll est artiste et photographe et il est l'un des co-fondateurs du festival du film pornographique de Bruxelles. Il partage avec nous ses impressions sur le pourquoi d'un tel festival.
Entretien de Miguel Soll, co-fondateur du Brussels Porn Film Festival
Cinergie : Pourquoi un festival du film porno à Bruxelles et en quoi celui de Berlin vous a influencé ?
Miguel Soll: Pourquoi pas ? Bruxelles est une ville qui se prête exactement à ce type de festival et bien sûr que le festival du film pornographique de Berlin était une référence directe surtout que c'était le premier festival du film porno en Europe
C: le festival propose des représentations alternatives des sexualités à l'écran. Et on sait que le sexe est politique. En quoi votre démarche est-elle politique ?
M. S. : Le festival a été fondé par des travailleur.euse.s du sexe et par des pornographes. On voulait créer un espace, un territoire pour montrer des œuvres sans jugement. Un espace d'expérimentations, d'accueil et de partage des représentations de nos envies sexuelles, esthétiques et cinématographiques. Le festival est né de l'idée que le cinéma pornographique est aussi du cinéma, il fait partie de l'histoire du cinéma. Il doit être vu et respecté comme tel.
C: Aujourd'hui nous avons le post-porn, le porno féministe, le porno anti-sexiste. En quoi considérez-vous ce porno comme faisant partie d'une industrie et d'une culture spécifique ?
M. S. : On imagine trop la pornographie comme un bloc monolithique avec cette image datée d'une seule industrie et aussi une image de la pornographie mainstream. Les festivals de films pornographiques, post-porn, cette pornographie alternative, vont être pensés en contraste avec les images hégémoniques que nous sommes habitués à voir. Il ne faudrait pas cependant stigmatiser les œuvres de la pornographie mainstream. La différence est que la pornographie alternative va montrer toute une gamme de représentations, de récits aussi vastes que l'expression du désir humain. Elle va parler de récits antiracistes, féministes, queers. Elle est née aussi dans l'industrie de travailleur.euse.s qui ont eu envie de tourner la caméra vers leur corps et retrouver un agencement dans leur image et dans leurs désirs.
C.: Le post-porn c'est aussi la représentation de corps non normés, gros, noirs, métis, trans. Votre festival questionne aussi ces représentations ?
M. S.: Tout à fait. Ce que nous proposons est une nouvelle manière de voir et de représenter le sexe. Et de voir nos désirs aussi. C'est pourquoi nous allons dans la diversité des représentations. Cette envie politique, elle est partout dans le festival et dans les films que les cinéastes nous proposent. Il s'agit de vouloir filmer soi-même nos corps, une sorte de cri d'existence, de regarder et de filmer nos désirs loin de la pensée hégémonique.
C.: Dans le cinéma porno, hétéro ou homo, il y a des rapports de domination-soumission parfois violents où les corps sont objectivés. Comment vous positionnez-vos par rapport à ça ?
Et comment allez-vous chercher les films ? Dans les festivals, sur le web ou des gens qui font leur film dans leur coin ?
M. S.: L'idée généralement admise est que la pornographie est sale et violente et nous voulons lutter contre cette image. Et en fait la pornographie est le genre le plus produit et le plus consommé au monde. Il y a une étude de Linda Williams, Porn Studies, en 2004, où elle va dire que Hollywood faisait par an 400 films et que l'industrie pornographique en faisait plus de mille. Et que toute société misogyne, raciste et homophobe va reproduire cela dans ses œuvres. Et le porno devient la partie visible la plus extrême de ces représentations. Quand on fait un festival des sexualités alternatives, on lutte contre ça. Et pour trouver les films, c'est comme tous les festivals de films, nous avons le site web Film Freeway[1], les gens nous y envoient leurs films, nous allons dans les autres festivals de films pornographiques en Europe pour faire la prospection, nous allons dans des festivals généralistes comme Rotterdam, Berlin, Clermont-Ferrand. Même à Cannes où l'année dernière nous avons fait la première belge du film Amo de Emmanuel Gras un film explicite qui nous a permis de montrer notre travail.
C.: Que pensez-vous des films à teneur pornographiques, plus financés comme ceux de Gaspard Noé par exemple où le porno s'incruste dans un cinéma dit d'auteur? Et le porno se définit par une représentation explicite des sexes et en quoi cela influence-t-il vos critères de sélection?
M. S. : C'est une très bonne question. La pornographie a comme définition la plus scolaire du sexe non simulé. Mais en fait, elle a une triple définition, juridique, éthique et esthétique. La catégorisation esthétique ce sont tous les signes comme le gros plan, l'éjaculation face-caméra, la pénétration, les gémissements caractéristiques des personnes avec des vulves. Nous connaissons tous ces codes du genre qui sont bien définis. Après il y a le cadre juridique qui va dire si les films peuvent être subventionnés, s'ils peuvent sortir en salles, si il y a une taxation spécifique pour les films pornographiques comme en France où ça tue un peu la production de ces films.
C.: Avez-vous des aides financières de la part des pouvoirs publics ? Avez-vous des subventions?
M. S. : Oui cette année nous sommes aidés par la Ville de Bruxelles et la Cocof. Les pouvoirs publics ne sont donc pas aveugles de notre travail. Bruxelles est une ville très accueillante pour ce genre de propositions.
[1]Film frewway est un site web où chacun.e peut proposer son film en fonction de thématiques très larges. www.filmfreeway.com.