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Entrevue avec Henry Ingberg fait le point sur le cinéma belge de 2003

Publié le 01/01/2003 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

En ce début d'année 2003, nous avons demandé à Henry Ingberg, Secrétaire général du Ministère de la Communauté française mais aussi Directeur du Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel, de faire le point sur notre cinéma qui ne cesse d'engendrer de nouveaux talents tout en confirmant celui de ses réalisateurs affirmés. 

Passionné par le cinéma, Henry Ingberg a eu le talent, depuis deux décennies, d' offrir à nos réalisateurs, grâce notamment aux mécanismes mis en place par le Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel, les moyens d'exprimer leur originalité et les moyens de se faire reconnaître moins dans leur propre pays -- pour des raisons qui ne datent pas d'aujourd'hui -- que sur la scène internationale. Entretien.

Entrevue avec Henry Ingberg fait le point sur le cinéma belge de 2003

Cinergie : Du 7 au 27 novembre 2002, les New-yorkais ont pu découvrir le cinéma belge au « Lincoln Center » sous l'intitulé « Transcendent Realism. New and Old Cinema from Belgium ». L'organisation de cette semaine par le WBI et Flanders Image, la sélection due à Kent Jones ont permis au public de découvrir une vingtaine de longs métrages. Est-ce, à votre avis, une consécration pour un cinéma qui a choisi la diversité plutôt que le formatage ?
Henry Ingberg : C'est vrai que le Lincoln Center a une approche artistique et culturelle proche de la sensibilité européenne, la volonté de trouver des espaces d'expression à des cultures qui sont tout sauf dominantes sur le plan mondial, donc cette volonté pratique de faire une programmation ouverte à la diversité culturelle. C'est ce qu'on attend d'un centre culturel de référence comme celui-ci. Sur l'intérêt particulier que représente la Belgique, ou le cinéma dans la Belgique, je crois incontestablement qu'il y a une curiosité en éveil. Il y a quatre ans, il y avait déjà eu une semaine belge organisée à New York, une rencontre, avec un effet de questionnement qui étaient apparus dans les milieux culturels new-yorkais dû au succès de nos auteurs, de nos réalisateurs. Depuis lors, le sentiment que nous réalisons un cinéma original s'est confirmé. Dès lors on essaie de rassembler notre cinéma dans une formule de type "Semaine belge" choisie par les organisateurs américains. Le titre est le démarquage de la formule de "Réalisme imaginaire" qu'on a attribué à Delvaux, et qui, de manière à la fois juste et très injuste, veut résumer le cinéma belge. Juste, parce qu'il y a une espèce d'originalité, de décalage déjà mis en évidence dans une quantité de textes et d'analyses, et par les auteurs eux-mêmes. Injuste parce qu'on veut chaque fois rappeler, qu"un auteur est un auteur », donc qu'il n'est réductible qu'à lui-même. Donc, cela témoigne plutôt du mouvement d'un cinéma en Belgique qui charrie des talents très personnels avec des points communs mais aussi une singularité constamment renouvelée. Ce mouvement va au-delà des clichés, des modes et des moments. Un cliché peut caractériser à un moment donné un cinéma, comme si tout se rassemblait, comme par exemple autour d'un Jaco Van Dormael ou autour des frères Dardenne, mais très vite, cela évolue, n'est déjà plus cela. La Semaine au "Lincoln Center" de New York est importante parce qu'elle a permis de montrer que l'on n'est pas dans le confort d'une définition centrée sur deux ou trois auteurs emblématiques, mais dans un mouvement, que l'on est pas enfermé dans une génération mais face à un renouvellement permanent, avec chaque année de nouveaux auteurs qui apparaissent ayant chacun leurs particularités, leur singularité, alors que les anciens auteurs, et c'est passionnant à voir, ne semblent pas perdre leur inspiration. Le cinéma belge ne se réduit pas à une génération précise. Dans la programmation de cette semaine belge, on a des gens âgés avec un cinéma du patrimoine comme Storck, Delvaux que l'on a confrontés en même temps à la génération actuelle; c'est une manière stimulante et intelligente de voir notre création. Le "Lincoln Center" a eu une manière ouverte et non réductrice de présenter notre cinéma.

 

C. : Il n'y a pas si longtemps la moitié des longs métrages n'était visible qu'en Festival. Or, en cette fin d'année, huit films belges sont sortis en salles. Notre cinéma serait-il devenu plus visible pour le public.
H.I. : Notre cinéma sort en salles mais il ne reste pas longtemps à l'affiche. C'est dû à des résultats en salle extrêmement mitigés. Les films qui sont sortis dernièrement ont fait des entrées entre 3.000 et 30.000 spectateurs. Quarante mille pour les meilleurs. Même la sortie récente du  Fils des frères Dardenne est en deçà de la réputation du film, acquise notamment au Festival International du Film de Cannes avec le Prix d'interprétation décerné à Olivier Gourmet et ,cela, malgré le relais médiatique important que l'on en a fait. Il a mieux marché en France, comme c'est le cas pour la plupart des films belges ayant une certaine notoriété. La France est un marché plus large, mais même proportionnellement, l'accueil y est meilleur. On en revient à cette question lancinante : pourquoi l'intérêt de notre public n'est-il pas à la hauteur de la réputation qu'a réussi à construire le cinéma belge sur le plan international. Ces films ne méritent pas ce manque d'engouement de la part de notre public. Nous n'avons pas un public de supporters pour notre création. Comment se peut-il que nous n'ayons pas le même engouement pour notre cinéma que pour Justine Hénin ou Kim Klijsters. Là, on a un défi terrible. Nous devons chercher des solutions car il y a une réelle frustration de ma part, par rapport à la place que mérite réellement ces auteurs et que, paradoxalement, ils rencontrent moins chez nous qu'à l'extérieur, en France en particulier.

 

C. : En amont, la détaxation fiscale que représente le tax-shelter, sera-t-elle, un incitant suffisant pour doper une production dont les moyens financiers - via l'aide publique - n'ont pas augmenté alors que les projets se pressent au portillon. N'y a-t-il pas moyen de prélever une taxe -si minime fut-elle - sur le ticket d'entrée du cinéma. Ce qui a permis, vous le savez, au cinéma français de maintenir sa production ?
H.I.
 : C'est une hypothèse déjà mise sur la table depuis plusieurs années ce qui ne signifie pas qu'elle ne soit plus d'actualité. Il faut penser à y ajouter également une taxe sur la distribution des cassettes vidéo et des DVD. Au début, le Ministre Miller était réticent car il craignait que cela soit ressenti par les consommateurs comme une taxe supplémentaire. Mais cela devient indispensable car notre cinéma va étouffer; les budgets publics n'étant pas en augmentation, la dotation stagne, alors que les gens du cinéma ont fait plus que leurs preuves dans leur travail personnel, dans leurs oeuvres. Je suis favorable à cette question et depuis plusieurs années. Mais c'est une négociation difficile, car il y a la perception de la taxe par les consommateurs. De plus, certaines salles de cinéma, paient des taxes communales, et d'autres salles ne faisant pas partie des grands complexes, ont de grandes difficultés à survivre.

 

C. : Il y a peu, le quotidien « Le Monde » titrait à la « une » : « Le DVD dope le cinéma » et y consacrait deux pleines pages. Le DVD n'affectant pas la fréquentation des salles. Par ailleurs qu'en est-il de la diffusion de notre patrimoine cinématographique sur ce support ?
H. I. : Le DVD est un bond extraordinaire pour le cinéma. Concernant notre patrimoine, nous avons demandé à l'asbl Boomerang Classics de procéder à l'édition d'un premier DVD consacré à André Delvaux. Selon la volonté de celui-ci, c'est Rendez-vous à Bray qui devrait être prioritaire, alors que la Commuanuté flamande et la Cinémathèque royale ont annoncé l'édition de l'Homme au crâne rasé.

 

C. : le DVD n'est-il pas, par ses facultés d'interaction, un moyen de développer des cours de cinéma ?
H. I. : On l'a dit pour la vidéo aussi. Le DVD est un support formidable pour ceux qui défendent le patrimoine et le patrimoine vivant aussi. L'éducation à l'image doit entrer dans l'enseignement, au même titre que la littérature. L'apprentissage de l'écriture de l'image doit être reposée avec les créateurs et les professionnels pour aboutir à une programmation dans les écoles.

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