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Norman de Robbe Vervaeke

Publié le 06/03/2013 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Robbe Vervaeke, ancien étudiant du KASK de Gand, s’était déjà distingué en 2008 avec son premier film de fin d’études en peinture sur verre, Erzsebet. Sélectionné cette année dans la compétition nationale de courts métrages au Festival Anima, Norman est son premier film professionnel. Professionnel, sans aucun doute. Oscillant entre cauchemar et réalité, Robbe Vervaeke joue les funambules virtuoses et semble avancer librement sur le fil de l’animation.

Norman est une peinture animée.
Côté peinture, on pense à Edward Munch et Vincent Van Gogh. Au premier, il emprunte son obsession macabre dans des compositions et des lignes sinueuses. Au deuxième, la pâte pleine et grasse maniée avec emportement.Côté anim’, c’est à Alexander Petrov que l’on pense, dans un style moins léché et plus expressif, voire expressionniste. Avec Norman, on pense donc… beaucoup… ce qui, déjà, est une bien belle qualité. Qui est donc cet homme étrange aux lunettes rondes qui semble ne pas connaître ses propres limites et celles de l’autre ? Pourquoi erre-t-il dans cette ville déglinguée, la nuit, touche-t-il la cheville d’un homme, la nuque d’un autre, emporte-t-il une crevette abandonnée sur le sol ? Nul ne sait… Peut-être, est-ce son innocence même qui le pousse à s’intéresser à ses contemporains d’une façon non conventionnelle qui choque et heurte. Ou peut-être est-ce un fétichiste attiré par les imperfections qui ne contrôle plus ses désirs.

Pris d’emblée par l’ambiance « lynchéenne » de mystère et la beauté formelle de la redoutable technique de la peinture à l’huile sur verre, Norman engendre plus de questions que de réponses, questions qu’on laisse volontiers tomber par effet d’envoûtement, dans tous les sens du terme.
scène de l'animation Norman de Robbe VevaekeDe cet univers sombre où pointe l’angoisse, émerge une mélancolie douceâtre qui touche droit au cœur. Et la peinture sur verre, qui impose une esthétique forte et des variations de profondeur de champs et d'éclairages infinies, vient alimenter le doute et l’impermanence de toute chose. Et le film ne cesse d’évoluer en une suite de mouvements qui transforment et corrigent progressivement les personnages et l’environnement, joue avec la perception et la représentation, perturbe sans cesse l’équilibre des formes. Le cinéaste, peintre avant d’être animateur, s’est inspiré de sa propre expérience de regard. Ayant pris la « mauvaise » habitude d’observer les citadins du métro, des trains et des cafés pour en faire des croquis, insistant parfois de manière irrépressible pour toucher au plus près à la vérité de l’autre, il condense, dans cette histoire plus émotive que narrative, ses propres sensations scopiques.
Thriller sombre et habité, offrant un suspense à fleur de peau, film expérimental philosophique, Norman brasse une matière d'une densité exceptionnelle. En un mot, c’est beau.

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