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Fragments sur la Grâce de Vincent Dieutre

Publié le 05/04/2007 par Matthieu Reynaert / Catégorie: Critique

Pertinent mélange de didactique et d’émotionnel, ce documentaire de création (pour une fois l’étiquette colle bien) de Vincent Dieutre tente de faire ressurgir l’austère doctrine janséniste, écrasée par Louis XIV, dans un kaléidoscope d’émotions de plus en plus intimes. Il a été co-produit en Belgique par Simple Production et entièrement post-produit au studio l’Equipe de Bruxelles.
Pour cerner son sujet- dont on a tous entendu parler mais dont peu comprennent réellement les enjeux, tant politiques que métaphysiques - le réalisateur convoque plusieurs instances du documentaire. La vidéo en vue subjective d’abord, granuleuse, saccadée, comme un film de vacances sur lequel viennent s’échouer les murmures, volontairement étouffés, les réflexions du cinéaste. On se rend compte, mais on ne saura jamais pourquoi au juste, qu’en traitant de cette doctrine qui considérait la foi comme une affaire privée, Dieutre s’ausculte autant qu’il ausculte la France du 17ème siècle. La mise en abyme est fréquente, le dispositif filmique régulièrement révélé, car le réalisateur ne tarde pas à accrocher sur l’ultime question, qui restera sans réponse et qui est au cœur de la discorde entre les jansénistes et les jésuites, celle de la Grâce divine, de la force que nous donnerait, ou pas, dieu pour avancer dans la vie. Dans son voice over il confesse ne pas saisir le concept de foi. De là, comment la ressentir, et comment la filmer se demande-t-il, nous demande-t-il ?

Peut-être en revenant sur les lieux historiques où le destin brisé de ces catholiques bien trop proches des protestants s’est joué ? L’abbaye de Port-Royal, les rues de Paris, la place Saint-Pierre de Rome ou encore le quartier Sainte-Catherine à Bruxelles. Tous sont filmés sans artifice, tels qu’ils sont aujourd’hui, et le concret de leur actualité (voitures, bitume, passants qui réagissent à la présence de la caméra) s’entrechoque de façon extrêmement créative avec les textes de l’époque, dits en vieux français.

Ces textes, témoignages d’un camp comme de l’autre, issus de plumes anonymes ou de celle de Racine, fameux janséniste, sont lus par des comédiens, tantôt en voix off, tantôt dans un dispositif formel proche du théâtre conceptuel - c’est-à-dire, lui aussi, déconstruit. Parmi eux, on remarque quelques têtes qui nous permettent de mieux saisir l’univers dans lequel se déplace Vincent Dieutre : Eva Truffaut (la fille de l’immense cinéaste qui traita le vertige face à la mort dans La Chambre Verte), Françoise Lebrun (égérie de Jean Eustache dans La Maman et la Putain), Mathieu Amalric (qui fait là le grand écart avec son rôle récent dans Munich) ou encore Dieutre lui-même.

Dieutre est encore à l’image lors des entretiens avec Philippe Sellier, spécialiste des religions, professeur émérite à la Sorbonne. Cette troisième instance est la plus institutionnelle, mais elle est nécessaire au versant historique du message ici délivré, et tout à fait appréciable. Un message qui reste difficile à percer, sans doute parce qu’à jamais flou pour l’auteur lui-même. Une chose est sûre, il nous le sert avec passion, avec ses tripes. Dieutre brouille les pistes jusqu’à se mettre en scène, « testant » les scarifications des plus fervents fanatiques de la doctrine. Au moment de dépeindre la mort du jansénisme, il vient endormir ses acteurs, dans un excès de théâtralité, puis c’est le professeur d’université lui-même qui est montré s’endormant. Les questions soulevées ici ne se satisfont pas des barrières.

Tout comme l’interrogation qui en est le cœur, et tout comme son titre l’indique, Fragments sur la Grâce est composé d’éclats. Eclats de pensées, de faits, de ressentis. L’assemblage, pourtant chronologique dans les grandes lignes, peu paraître hasardeux ou hermétique. Mais au spectateur prêt à s’investir dans une œuvre, il offrira un voyage aussi inattendu que captivant.

Avant-première du film, en présence du réalisateur : le 17/04 à 20h Flagey (www.cinematheque.be). Sortie : le 18/04 au même endroit. Parallèlement, l'intégrale des films de Vincent Dieutre sera présentée au Musée du Cinéma du 18 au 23 avril.

 

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