Comme un jeu de piste géant, où votre adversaire n’est autre que votre propre gouvernement. Game of Truth, coproduction européenne pilotée par la réalisatrice Fabienne Lips-Dumas, a des airs de thriller d’espionnage. La réalité est malheureusement bien plus présente que la fiction dans ce documentaire, à mi-chemin entre reconstitution légiste et recherche constante d’une vérité enfouie dans les moments les plus sombres de l’histoire britannique.
Game of Truth de Fabienne Lips-Dumas
Au rythme des témoignages, Game of Truth lève le voile sur de nombreuses affaires étranges qui ont miné la vie des Irlandais du Nord, pendant la tristement célèbre période des Troubles entre 1969 et 1998. Collusion entre réseaux loyalistes et services secrets anglais, attentats dissimulés, falsification de preuves, des dizaines de récits parcourent cette triste période. En mêlant archives vidéos et images de l’Irlande d’aujourd’hui, la cinéaste recrée une ambiance de tension, réminiscence de ce qu’a pu être la vie quotidienne de ce peuple opprimé. RFU, MRF, MI5, à coups d’abréviations, les oppresseurs brouillent les pistes, floutent les preuves, censurent les documents. Et parce que la violence appelle la violence, l’IRA riposte en tuant systématiquement les informateurs, ayant parfois recours à la torture. Comment reconstituer un tel passé ? Comment guérir ces blessures des enfants, des parents, des épouses qui ont perdu leur proches dans cette guerre tout sauf invisible ? Sans donner des réponses toutes faites, Game of Truth met en lumière tous ces moments, ces vies brisées, ces nombreuses tombes remplies des corps des malchanceuses ou de ceux que le conflit a emporté avec lui. Des victimes que l’on rencontre au détour des titres de journaux, aux coins des photographies dénichées par l’équipe du film et de celles conservées en souvenir par les endeuillés. Et pour illustrer les récits, les témoignages et les nombreuses archives sans images, Fabienne Lips-Dumas convoque un cinéma d’animation volontairement morne, épuré, qui transpire la tristesse. En se superposant à la musique mêlant rock, brit pop et sonorités convoquées tantôt du film noir, tantôt des atmosphères éthérées du cinéma contemplatif, cette animation crée une ambiance toute particulière qui porte le film, jusqu’à des moments forts mêlant théâtre, animation et cinéma. Alors que les murs divisent toujours Belfast aujourd’hui, ce documentaire tente coûte que coûte de faire tomber ceux qui séparent les mensonges de la vérité. Pour d’abord montrer que les manipulations d’informations ont touché les deux camps, qu’elles ont impacté les décisions et les attaques de manière essentielle, et que les outils utilisés par l’État et les services de renseignements sont ceux qui sont aujourd’hui devenus monnaie courante sur les théâtres d'opérations internationaux. Pour ensuite faire parler celles et ceux qui luttent encore seul.e.s avec ces fantômes du passé, pour qui la vérité est un luxe parfois impossible à s’offrir. Et enfin pour réussir à dépasser les traumatismes, et que chacun et chacune puisse, selon sa propre détresse, faire son deuil et aller de l’avant. Au-delà des lignes noires de la censure.