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Gaspard va au mariage de Antony Cordier

Publié le 06/03/2018 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Dégâts des zoos

L’ombre de Wes Anderson plane sur le troisième film d’Antony Cordier (Douches Froides, Happy Few) : famille dysfonctionnelle, personnages tragi-comiques, relation frère-sœur quasi-incestueuse, goût prononcé pour l’absurde, images colorées… Mais bien plus qu’un vulgaire succédané de La Famille Tenenbaum, Gaspard va au Mariage réussit à trouver ce subtil équilibre entre différents genres, autant drame familial que comédie loufoque et décalée. Le film a pour décor un zoo, paradis perdu et métaphore évidente des troubles qui secouent les membres d’une famille de farfelus en train de sombrer peu à peu dans le chaos.

 

Gaspard va au mariage d'Antony Cordier

 

Après s’être éloigné de sa famille pour aller perdre son temps et gâcher son talent à Paris, le fils préféré, Gaspard (Félix Moati), rentre au bercail pour assister au remariage de son père (Johan Heldenbergh, accent flamand inclus). Il retrouve son frère aîné (Guillaume Gouix) et sa sœur cadette (Christa Théret) qui ont géré le zoo familial en son absence. En chemin, Gaspard rencontre Laura (Laetitia Dosch), jeune femme un peu paumée et un peu gauche à qui il propose, pour surmonter son appréhension, de se faire passer pour sa copine jusqu’au mariage. C’est à cette occasion que Laura rencontre un à un les personnages attachants et excentriques de la tribu, tous plus ou moins restés coincés en enfance, tentant tant bien que mal de faire le deuil de leur défunte mère et épouse (Elodie Bouchez en flashbacks) disparue dans des circonstances plus ou moins horrifiques selon la personne qui les relate…

Une enfance brisée par le deuil est devenue la cause des traumatismes, frustrations et pulsions sexuelles non-assouvies qui se manifestent douloureusement à l’âge adulte dans cette drôle de fratrie où l’on a du mal réprimer les désirs . Ainsi, Gaspard est amoureux de sa propre sœur. Max, le père indigne, est un incorrigible don juan qui sabote son futur mariage en folâtrant à gauche et à droite. Il passe son temps à se baigner dans un aquarium rempli de minuscules poissons / sangsues pour se laver de ses défauts, sans trop se soucier des sentiments de Peggy (Marina Foïs), la vétérinaire qui a accepté de l’épouser. Plus terre à terre, Virgil, le frère aîné, cache difficilement sa colère et sa jalousie vis-à-vis de Gaspard et son côté raisonnable n’est qu’une façade. Coline, la benjamine, erre dans les allées du parc et dans la forêt, toujours vêtue d’une peau d’ours. Elle dort dans un arbre, mange des racines et ne se lave plus. Peau d’âne des temps modernes, elle dissimule sa beauté terrassante sous une dépouille puante et des comportements scandaleux, afin de se rendre indésirable aux yeux de son frère, même si leur désir incestueux est partagé. Jalouse, Coline prend directement Laura en grippe, allant jusqu’à l’enfermer dans la cage des grands rapaces pour la mettre à l’épreuve. Ces personnages atteints du syndrome de Peter Pan ont conservé une part de fantaisie qui, en des temps plus cléments, aurait été la bienvenue. Mais, le temps passant, cette douce folie les a rendus un peu pathétiques, voire, dans le cas de Coline, qui a vécu le départ de Gaspard comme un abandon, asociale et démente. La famille est désormais complètement disloquée et les non-dits (ou les grognements de Coline) ont remplacé toute forme de dialogue. Une des bonnes idées du film, un peu à l’instar de l’excellent Premier Jour du Reste de ta Vie (de Rémi Bezançon) est d’adopter une structure en « passage de relais », chaque membre de la famille (ainsi que Laura) ayant droit à son propre chapitre.

Une fois passée la porte du domaine (le film fut tourné dans un vrai zoo du Limousin), bulle rassurante les protégeant du monde extérieur, les lois de la normalité et de la bienséance sont abolies. Gaspard est tenté de régresser jusqu’au désordre constant de son enfance, lorsqu’il était encore cet ingénieux inventeur dont on retrouvait les gadgets (le bouchon de champagne / parachute, par exemple…) dans chaque recoin de la maison. Mais ce monde du rêve où l’on ne grandit jamais, dont la douce figure maternelle était l’emblème, se heurte aujourd’hui à une dure réalité : le zoo périclite financièrement et les animaux sont fréquemment attaqués et tués par une meute de chiens sauvages venus de la forêt environnante, qui pénètrent dans l’enceinte en démolissant les enclos.

 

 

Gaspard en est conscient : il doit faire ses adieux à l’enfance et enfin entrer dans l’âge adulte, tout en se préservant des excentricités toxiques d’une famille avec laquelle il entretient des rapports amour-haine brutaux. C’est seulement avec l’aide de Laura qu’il y arrivera, après une longue série de malentendus, de flirts, de disputes et de réconciliations. Bien malgré elle, Laura (qui découvre les animaux avec un mélange d’effroi et de fascination) va servir de guide à Gaspard à travers ses souvenirs et lui fournir une raison de rejoindre le présent. Laetitia Dosch apporte sa fraîcheur, sa spontanéité et sa naïveté habituelles au personnage le plus normal du film, mais se fait voler la vedette par la troublante Christa Théret, inoubliable dans le rôle de cette femme-enfant brisée par le deuil, murée dans le silence. 

Mélancolique, original et d’une constante drôlerie, Gaspard va au Mariage est une comédie française comme on n’en fait plus vraiment de nos jours : pleine de charme et de bizarrerie, toujours sur le précipice du ridicule sans jamais s’y vautrer. Cordier n’hésite pas à aborder des sujets tabous tout en filmant de manière quasi-fétichiste les corps dénudés (féminins ET masculins) de ses acteurs, sans se départir d’une grande dose de tendresse. La présence des animaux (tigres, lions, girafes, primates et on en passe…) évoluant aux cotés des acteurs renforce l’aspect surréaliste des images de ce film surprenant qui provoque le rire, suscite le trouble et émeut à parts égales.

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