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Les garçons et Guillaume, à table !, de Guillaume Gallienne

Publié le 19/11/2013 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

La première fois, c’était en 2000. Sur l’écran, une comédie française chic et pas chère alignait des gags pas toujours finauds, jusqu’à l’apparition d’un miracle, un petit personnage secondaire et improbable du nom d’Evrard Sainte-Croix ! Cet aristocrate fin de race qui cherchait la porteuse du bon gène pour pouvoir procréer sans trahir la lignée, Evrad donc, c’était lui, Guillaume Gallienne, sa bouille ronde, ses bouclettes, cette façon si caractéristique de tout trouver « géniaaal », ses ruptures de tons irrésistibles. Inoubliable déjà dans ce film qui ne l’était pas. Depuis, Guillaume, devenu sociétaire de la Comédie française, enchaîne les grands rôles du répertoire, les émissions radio, télé, etc. Après avoir triomphé dans un one man show au titre éloquent de Les garçons et Guillaume, à table !, il passe derrière la caméra pour l’adaptation cinématographique de ce spectacle. Et comme tout ce qu’il touche se transforme en or, le film a remporté le Prix découverte au dernier Festival de Namur. 

photo du film Les Garçons et Guillaume, à table !  de Guillaume Galienne« Le premier souvenir que j'ai de ma mère c'est quand j'avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : "Les garçons et Guillaume, à table !", et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant : "Je t'embrasse ma chérie"; eh bien disons qu'entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus. »

En effet… et pour les dissiper, Guillaume devra subir un véritable parcours du combattant, quelques divans de psys, une métamorphose en Sissi impératrice, une tentative de mêlée au rugby, un petit pas de sévillane, un lavement extrême pratiqué par la consciencieuse Ingeborg (Diane Kruger), sans parler des coups de rames à contre sens dans un aviron et l’échappée, de justesse, à un viol collectif plutôt viril pour pouvoir se choisir. Autant de scènes fantasques et loufoques qui sont des moments d’anthologie. Difficile d’y résister.

Mais au centre de tout cela, il y a Maman, interprétée par l’acteur lui même qui, par l’on ne sait quel prodige, parvient à endosser ce costume de femme (et pas n’importe laquelle) de manière parfaitement crédible et caricaturale à la fois. Maman, être hybride entre Marthe Keller (pour l’élégance déjantée) et Arletty (pour la gouaille licencieuse) portant le verbe haut sur un jeté de foulard inébranlable. Maman, trop occupée à ne rien faire pour écouter ce gosse qui voudrait tant attirer son attention pourtant, et pouvoir lui ressembler. Car, même dans ses vêtements de garçon, il a tout pris d’elle, sa voix, ses gestes, son rythme, sa respiration si bien que les membres de la famille eux-mêmes parviennent à se méprendre. Car c’est qu’il l’aime tellement… et elle le lui rend si mal. Mais cette autobiographie clairement revendiquée, qui aurait vite pu prendre des allures de règlements de compte familiaux, embrasse trop tendrement pour crier simplement vengeance. Et si la férocité des portraits égratigne un peu le tableau de famille, la déclaration d’amour sous-jacente, toujours décalée et jamais mièvre, l’emporte sur tout. Car oui, Les garçons et Guillaume, à table !,est avant tout un film d’amour, un manifeste passionné fait aux femmes, à toutes les femmes. Et quelle jubilation d’observer ce garçon imiter sa mère d’abord, puis ses tantes et tous les êtres féminins qui l’entourent pour enfin les regarder et apprendre à les aimer, comme un homme.

photo du film Les Garçons et Guillaume, à table !  de Guillaume GalienneSous des apparences joyeuses et son air de ne pas y toucher, le film fait le récit d’un apprentissage, celui d’un individu qui doit s’accepter tel qu’il est et sortir du costume qu’on lui a enfilé de force. Et le mot est lâché, car tout n’est que costume, rôle assigné, place à respecter que Gallienne envoient valdinguer avec une folle énergie. Et ce n’est certainement pas un hasard si le film s’ouvre dans une loge de théâtre où, au lieu de se maquiller, l’acteur décide d’ôter la peinture blanche de clown triste avant d’entrer sur le plateau pour interpréter cette histoire.

Bas les masques donc ! Et nous sommes là, témoin de cette aventure, de ce coming out inversé, allègrement ballottés dans un va-et-vient permanent entre le « réel » et ce spectacle, bringuebalés par la performance, un plaisir du jeu qui prend le pas sur tout, offrant même un hommage revendiqué à Louis de Funès dans la scène culte du bain turc de La grande vadrouille. Car oui, Gallienne est acteur avant tout, et c’est tout naturellement que les mots, qui sont eux-mêmes des costumes que l’on emprunte ou que l’on quitte, provoqueront le déclic miraculeux. Invité chez une amie à une soirée « filles », ce n’est pas un baiser, mais une formule magique qui va opérer sa transformation en prince charmant : « Les filles et Guillaume, à table ».

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