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GUTLAND de Govinda Van Maele

Publié le 27/09/2018 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Visages, Village

Situé à Schandelsmillen, village paradisiaque de la région du Gutland au Luxembourg, le premier long-métrage de Govinda Van Maele (après quelques courts remarqués) démarre par l’arrivée de Jens (Frederick Lau), un vagabond allemand débraillé, avec un sac rempli d’argent pour seul bagage. Jens tente de trouver du travail pendant la saison des moissons, un prétexte pour se cacher des policiers qui le recherchent et des deux acolytes avec lesquels il a braqué une banque et qu’il a réussi à semer.

 

Dans un premier temps, les agriculteurs locaux voient l’arrivée de Jens d’un mauvais œil. Mais lors d’une soirée dansante, ce dernier tombe amoureux de la ravissante et fougueuse Lucy (Vicky Krieps), jeune maman d’un garçon de 7 ans, qui rêve d’aventures après le décès récent de son mari. Jens et Lucy couchent ensemble dès le premier soir et le lendemain, l’attitude des villageois semble avoir changé du tout au tout. Le jovial Jos (Marco Lorenzini), père de Lucy et maire du village, aide Jens à dénicher un job bien rémunéré ainsi qu’un logement provisoire dans un vieux camping-car. Jens se retrouve comme un coq en pâte. La journée, il travaille dur, et le soir, il s’intègre à la communauté. Jens et Lucy deviennent inséparables et passent leur temps libre à baguenauder dans les pâturages dans une ambiance très « Belle des Champs ». Mais bientôt, le passé criminel de Jens le rattrape… et va se heurter brutalement aux secrets tordus de ces drôles de paysans qui, comme le chantait si bien Bourvil, « n’ont pas le cerveau lent ».

« Un mystérieux étranger débarque dans un village perdu, d’apparence idyllique, et en trouble l’équilibre. Il se rend compte que quelque chose ne tourne pas rond chez ses nouveaux amis et qu’un danger (dont il ignore la nature) le guette. » Ce postulat archi-rebattu a servi de point de départ à plus d’un épisode de la mythique Quatrième Dimension ainsi qu’à des tripotées de séries B, que ce soit dans le domaine du western, du fantastique ou de la science-fiction. L’originalité de Gutland tient à l’irruption d’un style naturaliste (on pense au cinéma de Bruno Dumont) greffé sur ce canevas classique, renforçant le sentiment de menace. Tourné en 35mm, Gutland pourrait aisément passer pour un documentaire de style « Striptease » dans lequel l’imagination et l’horreur font irruption au moment où l’on s’y attend le moins.

Le premier indice que quelque chose cloche est transmis par la cinématographie, signée Narayan Van Maele (frère du réalisateur), qui filme un paysage brumeux et mystérieux avec des champs de maïs à perte de vue. Comme l’île de la série Le Prisonnier ou tous ces petits villages maudits que l’on retrouve dans les œuvres de H.P. Lovecraft et de Stephen King, Schandelsmillen devient, sous l’objectif de Govinda Van Maele, une prison dorée dont il est impossible de s’échapper, un purgatoire autant qu’un paradis. Dans un premier temps, Jens est mis mal à l’aise par les mœurs des villageois : les punitions pour les enfants turbulents s’apparentent à des tortures médiévales, la plupart des femmes du coin sont nymphomanes et Jens trouve, dans son camping-car, une série de clichés pornographiques mettant en scène les femmes les plus influentes de la région. Tout le monde semble bien trop hospitalier et souriant pour être honnête et Jens ne comprend pas pourquoi un simple vagabond aux cheveux sales comme lui, est accueilli comme le fils prodigue ! Il ne comprend pas non plus, lui qui n’a pas la moindre aptitude musicale, pourquoi le maire tient tant à lui enseigner la trompette et à l’intégrer dans la chorale de la paroisse, au sein d’une troupe de musiciens plus mauvais les uns que les autres. Au fil du temps, Jens s’accommode pourtant de toutes ces excentricités. Mais le spectateur, lui, est amené à se poser de plus en plus de questions. La lumineuse Lucy, cadeau du ciel, est-elle aussi angélique qu’il y paraît ? Et qu’est-ce qui se mijote dans cette lugubre masure laissée à l’abandon à la sortie du village ?

Le réalisateur dissémine beaucoup d'indices, mais au bout d'une heure, le schmilblick n’a pas avancé d’un pouce. Sommes-nous dans un film fantastique, un thriller, un simple drame campagnard ? Va-t-on voir débarquer Agnès Varda avec son appareil photo ? Allez savoir… Quoi qu’il en soit, Gutland s’inspire allègrement (même humour absurde, mêmes ruptures de ton choquantes) du classique The Wicker Man, film culte par excellence. A l’instar du récent Get Out, dont il est une sorte de « cousin européen », Gutland se sert habilement des conventions du film d’horreur, non seulement pour les honorer avec des séquences anxiogènes et une ambiance surréaliste à souhait, mais également pour aborder en sous-texte (et sans lourdeur) des thématiques politiques comme les concepts d’identité, d’immigration et d’intégration. L’atmosphère de terreur sourde est distillée avec parcimonie et savoir-faire. Même lorsque les choses se corsent, lors d’une haletante course-poursuite dans un champ de maïs entre notre « héros » et une moissonneuse-batteuse devenue folle, il subsiste suffisamment d’ambiguïté pour que l’on doute des mauvaises intentions de ses poursuivants.

Nous n’en dévoilerons évidemment pas la nature mais le brillant climax, ironique et cruel, parvient à surprendre et à donner la chair de poule comme le faisaient autrefois les meilleurs récits concoctés par Rod Serling ou Richard Matheson. Le réalisateur s’amuse à jouer avec la perception du réel, à brouiller les pistes et à faire subir à son héros, dont la transformation progressive atteint son paroxysme lors d’une scène finale étonnante, un mémorable lavage de cerveau. Reste à savoir si la victime n’est pas consentante dans une certaine mesure, résignée à laisser son identité au vestiaire afin de jouir des richesses offertes par ses bourreaux. La métamorphose graduelle, physique et psychologique, de cet homme sans cesse soumis à la tentation, est l’un des aspects les plus fascinants de cette réussite inattendue.

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