Habiter le monde
Comment peut-on traiter un fait-divers à l'écran ? Comme l'affaire DSK – dans l'air du temps – en direct (1), via le flux continu de l'information télévisuelle ou alors, comme Chantal Akerman dans Sud qui « paysagifie » l'espace-temps en nous offrant un endroit lourd, tendu et terni par la barbarie raciste dans un coin du Texas. La cinéaste-poète nous propose un voyage hanté sur les lieux d'un crime. L'endroit où le corps de Jasper Byrd Jr, un habitant noir, a été traîné par trois jeunes blancs derrière une voiture jusqu'à ce qu'il meure. Aucun processus informatif, le lynchage ne nous est pas présenté ni représenté (pas d'images d'archives ni d'analyse socio-criminelle). Nous ne sommes guère dans une histoire gravitant autour de l'événement, mais dans la durée, dans le « vivre du temps », comme si, pour les habitants, il s'était arrêté, figé à la suite d'un cataclysme. Aucune hystérie surjouée comme dans la captation « on the stage » de la réalité (2). Cette réflexion sur la puissance d'un cinéma du réel poétique nous est proposée dans Habiter le monde, un livre épatant de Corinne Maury. Elle nous parle de cinéastes qui, s'affrontant aux clichés du visible immédiat, « cherchent davantage à restituer des présences du monde plutôt que d'en créer des représentations ». En opérant notamment par cette forme sensible qu'est la sensation (3) pour nous offrir la complexité du monde via des détours, des ellipses, des absences, des suggestions.
Maury nous parle des poètes-cinéastes qui, écrit-elle, « invitent le spectateur à une re-figuration du réel »(...) « à leur présence jusque-là recouverte et opacifiée par les usages. »