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Hostile de Mathieu Turi

Publié le 14/07/2020 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La beauté des laids

Les voies de la coproduction belge sont impénétrables. Même en restant vigilants, à Cinergie, il nous arrive de passer à côté de certaines œuvres intéressantes. Comme nous avons un peu de temps libre en attendant qu’un quidam fabrique un vaccin anti-Covid-19 dans sa baignoire, rien de plus à propos que de nous pencher sur ce sous-genre à la mode qu’est le film d’infectés en mode post-apocalyptique avec Hostile, une coprod’ franco-belge produite, entre autres, par Sylvain Goldberg, et qui nous avait échappé en 2017. Pour son premier long-métrage après deux courts remarqués en festivals (Sons of Chaos en 2010 et Broken en 2012), Mathieu Turi, assistant réalisateur sur une flopée de blockbusters, ne réinvente pas la roue, mais livre une honnête tentative de science-fiction hexagonale sur le thème de la responsabilité, l’héroïne souffrant de terribles remords.

Après une catastrophe d’origine chimique, le monde est devenu un grand désert où les rares survivants ne sortent que la journée. En effet, la nuit venue, d’immondes créatures humanoïdes, hydrocéphales, cannibales et toujours affamées, les Reapers, sortent pour chasser. Juliette (Brittany Ashworth) parcourt l’Amérique dévastée à bord de son camion. Elle est la seule de son groupe à oser s’aventurer près des villes, à la recherche de nourriture, communiquant avec son groupe par radio. Un jour, sur le chemin du retour, elle perd le contrôle de son véhicule, qui fait une terrible embardée. Lorsqu'elle reprend connaissance, elle se rend compte que sa jambe est dans un sale état, (son tibia ayant décidé de sortir dire bonjour à son genou), qu’elle est immobilisée… et qu’il fait nuit ! Contrainte de survivre en attendant l’arrivée improbable des secours, la malchanceuse va être confrontée à l’une des créatures, qui semble développer une véritable obsession envers elle.

Tentative originale de livrer un patchwork entre film de monstres, huis-clos étouffant (l’héroïne ne sait jamais de quel côté les créatures vont l’attaquer) et drame intime (l’histoire d’amour de Juliette racontée en flashbacks), Hostile pallie son manque de moyens par une structure narrative solide et par un évident savoir-faire dans la mise en valeur des paysages (le tournage s’est déroulé en grande partie dans le désert marocain) ainsi que par des séquences de suspense particulièrement réussies, sans le moindre recours aux effets faciles de type jump scares. Les attaques des créatures, rares et violentes, font réellement froid dans le dos, Turi jouant habilement avec le hors champ et l’obscurité pour créer l’angoisse.

 

Mais c’est la structure du script qui s’avère particulièrement originale. Au fil de l’état de santé de Juliette, qui ne cesse de se réveiller puis de s’évanouir à cause de la douleur, son passé, avant l’apocalypse, nous est conté au cours de longs flashbacks distillés au gré des situations qu’elle doit affronter dans le présent, ses erreurs passées l’aidant à prendre des décisions qui pourraient lui sauver la vie dans le présent, chaque aller-retour entre les deux temporalités étant pensé pour que les segments se répondent les uns les autres dans un amusant montage parallèle. Dans ce passé qui semble aujourd’hui si lointain, Juliette était une jeune junkie qui, un jour de pluie, est entrée dans une galerie d’art pour s’abriter. Elle est accostée par Jack (Grégory Fitoussi), le galeriste, qui tente de « lui faire voir la beauté derrière la laideur » dans une toile de Francis Bacon - un message qui résonnera lors du climax. Accro à l’héroïne, Juliette se montre néanmoins réticente à la perspective d’une romance. Sous le charme de cette jeune femme paumée, le bienveillant Jack va pourtant se donner pour mission de la ramener dans le droit chemin, un périple qui ne se fera pas sans heurts…

La plus grande qualité d’Hostile est probablement le design de sa superbe créature principale, squelettique, les yeux brumeux, le crâne protubérant et les dents acérées. Elle est incarnée par l’espagnol Javier Botet, sous des tonnes de prothèses, un acteur atteint du syndrome de Marfan, très grand et très mince, spécialiste de ce genre d’emplois, puisque c’est lui qui incarnait « Mama » dans le film du même titre face à Jessica Chastain, mais aussi divers monstres maléfiques dans [REC], The Conjuring 2, Insidious 4, Alien : Covenant, Slender Man, It, ou encore les séries The Strain et Game of Thrones. Afin d’éviter tout manichéisme, Mathieu Turi a la bonne idée d’humaniser le monstre.

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