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Inside de Vasilis Katsoupis

Publié le 29/03/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

L’aventure intérieure

Lors d’un cambriolage au cours duquel il espère dérober un tableau d’une valeur de 3 millions de dollars, Nemo (Willem Dafoe), spécialisé dans le vol d’œuvres d'art, se retrouve piégé dans un immense et luxueux penthouse new yorkais avec vue sur la ville. Le système d’alarme l’emprisonne derrière des mètres de béton armé. Entouré d’œuvres d’art hors de prix, le cambrioleur est entièrement coupé du monde extérieur, sans téléphone ou connexion internet. Au cours des premiers jours, Nemo tente de faire suffisamment de bruit pour alerter une femme de ménage dont il observe les allées et venues sur un système vidéo. Mais le penthouse est complètement insonorisé et personne ne vient, pas même son propriétaire (Gene Bervoets), en voyage au Kazakhstan.

 

 

Inside de Vasilis Katsoupis

Nemo doit donc user de toute son ingéniosité et de sa créativité pour survivre : explorer le moindre recoin, rationner l’eau et la nourriture, transformer le moindre boulon en objet d’espoir. Les jours passent, puis les semaines, les mois… Les notions de temps et de réalité deviennent floues. Les trésors que le cambrioleur convoitait (tableaux, sculptures, photographies…) semblent le narguer. Ce lieu d’inspiration et de capitalisme décadent devient l’île déserte de ce Robinson Crusoé des temps modernes. Mais sera-t-il son tombeau ?

Sur un postulat/prétexte de thriller claustrophobe, sorte de Panic Room à l’envers, Vasilis Katsoupis (qui signe son premier long-métrage de fiction) se préoccupe avant tout des tourments intérieurs de Nemo. Son film prend des tournants inattendus, virant tour à tour au drame de la folie à la Polanski (on pense notamment au Pianiste) et à l’horreur corporelle façon Cronenberg : le corps vieillissant de Willem Dafoe - qui nous livre une énième prestation époustouflante et très physique - est sans cesse soumis au supplice : à la chaleur intense (le film commence lors d’un été étouffant), puis au froid glacial, à la faim, la soif et la douleur. Sans parler de sa santé mentale qui s’étiole au fur et à mesure que ses tentatives d’évasion - notamment la dérisoire construction d’une tour de meubles branlante pour atteindre un plafond aussi épais que le reste des murs - échouent.

Bientôt, Inside se mue en farce absurde et cruelle à la Beckett, une sorte d’En Attendant Godot dans lequel un fou se sachant condamné (Nemo donne tout son sens à l’expression « faire partie des meubles ») converse seul ou avec un pigeon qui vient lui rendre visite de l’autre côté de la fenêtre, apprend à faire des pâtes sans les cuire, mange des poissons crus à même l’aquarium, danse la Macarena devant un frigo vide, crée un désordre digne de Las Vegas Parano (le film est un cauchemar pour les maniaques du rangement et de l’ordre), transforme les murs en œuvres d’art personnelles et réexamine lentement ses choix et ses priorités. Proche de la mort, cet homme énigmatique – est-il victime d’un complot macabre ? - devient lui aussi une œuvre d’art tragique en constante évolution, une exhibition vivante.

Cette angoissante méditation existentielle (sur la place de l’art et sa valeur face à l’agonie d’un homme) en décor unique bénéficie d’une direction artistique exceptionnelle, chaque objet et œuvre d’art ayant son rôle à jouer et sa propre signification dans la lente descente aux enfers de Nemo. Probablement trop long d’une quinzaine de minutes et souffrant de problèmes de rythme dans son dernier acte, le film de Katsoupis, n’en reste pas moins un cauchemar inédit au cinéma, d’une bizarrerie, d’une cruauté et d’une originalité fort plaisantes, qui restera longtemps gravé dans les mémoires.

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