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Je suis un monstre de Tanguy De Donder

Publié le 23/03/2018 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Comment filmer l'absence ? Comment remplacer la femme que l'on a voulu montrer ? Son sujet s'étant dérobé du champ, Tanguy De Donder tente malgré tout de le faire sortir de l'ombre par un montage où la voix off omniprésente fait face à l'invisibilité du personnage dont il souhaite faire le portrait. Cet inachèvement inattendu, que l'on retrouve dans Saule Marceau de Juliette Achard également présenté au festival Millenium, contraint le réalisateur à la réflexion sur sa démarche et à inventer une autre forme audiovisuelle. L'absence entraîne une volonté de fiction, l'imaginaire du cinéaste inventant le récit de ce qui aurait pu advenir. Les plans fixes fétichisent les espaces, s'attachent aux décors et aux objets, comme autant d'indices ou de traces. Ailleurs cependant, la caméra en mouvement scrute les intérieurs, vaine tentative de débusquer ce mystérieux personnage. La voix off tente la reconstitution du portrait tout en livrant les réflexions intimes du cinéaste. Le parcours de cette femme hors-normes est filtré par cette voix masculine, établissant une distance pertinente avec le sujet non-filmé. « Je suis un monstre » disait-elle. Née dans le corps d'un garçon, Lucy a dû se cacher ou mentir toute sa vie. Dans le quartier chaud de Liège, elle s'est prostituée. Se montrer face à la caméra, s'exposer dans un film, constitue pour elle une mise en danger. Le regard peut tuer. Elle a choisi de na pas prendre le risque. La question finale renvoie sans fard ce choix à notre propre regard de spectateur et d'être humain.

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