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Jean-Michel Vlaeminckx - Le Regard des regards par Piet Goethels

Publié le 15/05/2018 / Catégorie: Livre & Publication

De mon point de vue, Jean-Michel n'était pas tant un ami qu’un collègue qui me remontait le moral grâce à nos mémorables conversations, toujours très amicales. Nous partagions des astuces techniques sur la photographie et bien entendu, des anecdotes sur les tenants et aboutissants du cinéma belge.

Jean-Michel Vlaeminckx - Le Regard des regards par Piet Goethels

Jean-Michel nous a quittés en 2014. Subitement. Ce fut un choc. Pour moi, c’était non seulement un de mes contemporains qui s’en allait, me poussant à questionner ma propre mortalité, mais surtout un collègue et un grand cinéphile qui, beaucoup trop tôt, s’en est allé rejoindre les champs de chasse éternels de la caméra. Jean-Michel était photographe... le médium idéal pour acquérir l’immortalité. Pour survivre au temps. Pour rester « vivant »... Roland Barthes déclarait que « prendre une photo, c’est un peu mourir ». On enregistre un moment qui est déjà terminé. Quoi qu’il arrive, les photos rattrapent un passé, quelque chose de fini. Mais en même temps quelque chose de vivant. Un moment figé est immortalisé pour toujours. Par le photographe. Mais aussi pour le photographe.

C’est un évènement important : quatre ans après son décès, Jean-Michel a enfin droit à une exposition à la Cinémathèque, ainsi qu’à un livre / anthologie de ses plus beaux clichés. Des photos sur le cinéma belge mais aussi de quelques acteurs internationaux. « Belge » dans le sens « francophone ». Après tout, nous vivons dans un pays schizophrène. La Flandre, la Wallonie… Bruxelles coincée entre les deux… tout ça sur seulement quelques centaines de kilomètres carrés. Cette entité intitulée « cinéma belge » existe-t-elle vraiment ? Au marché du film du Festival de Cannes, la Flandre et la Wallonie paradent fraternellement, côte à côte. Comment vendre une telle situation à l'international? Quid de la situation au sein même de notre pays? La question est absurde. Cette absurdité, ces questions, Jean-Michel les a posées lui aussi. Par la forme.

Inspiré par Irving Penn, qui a photographié les plus grands noms du showbiz dans son atelier, entre deux panneaux, Jean-Michel (en variation sur le même thème) demandait à ses modèles de garder un espace pour eux-mêmes au sein du cadre. « Faites quelque chose avec cette chose! »… Un concept éprouvé pour réaliser un portrait. Mais Jean-Michel le faisait avec talent. De manière ludique aussi. La photo de la chaise avec un cadre placé dessus, sur un fond baroque, sert d’introduction à une histoire. Au concept. Les portraits suivent. Imprévisibles et variés. Selon le moment, l'humeur et l'inspiration du « gardien ». C'était son style, son approche de la photographie, une charnière dans cette imposante alternance de photos, d’instantanés et autres portraits, principalement de réalisateurs. Chantal Akerman rayonne. Benoit Lamy, dans son bain, est cool. Certains clichés de reportages (réalisés dans divers festivals de cinéma) deviennent des portraits prégnants.

Jean-Michel était aussi un photographe de reportage. Qui devait donc se montrer flexible, respecter des temps impartis, terminer en quelques secondes alors qu’on lui avait promis des minutes, conjuguer avec la lumière du moment et s’adapter à la « bonne volonté » de ses sujets. Avec à la clé, par conséquent, des résultats variables. Les acteurs et les actrices sont comme des mouvements de caméra. Il faut savoir déterminer quelle posture ou quel regard fonctionne pour eux. Au photographe de s'asseoir dans la chaise du réalisateur ! De décider de ce qui est acceptable dans les temps impartis. De se débrouiller dans cet environnement particulier (généralement dans des hôtels, parfois dans un bureau de rédaction ou dans un espace prévu pour chez le distributeur). Avec la lumière du moment. Avec les conditions météorologiques du jour, quelles qu’elles soient. Il convient de chercher un lieu, une pose, des circonstances qui transcendent l'instantané ou le gros plan. De nombreux photographes tentent de passer outre ces éternels gros plans prévisibles, banals, proches de l’amateurisme. Plus facile à dire qu’à faire ! Les portraits de Jean-Michel, eux, sont toujours ludiques. Ils sont des moments de reconnaissance aussi. Appelons ça « appréciation ». Du cinéaste au photographe. Du photographe au réalisateur.

L’agencement des différents portraits et reportages dans le livre s’avère vital. Il y avait des choix évidents à faire pour une succession d'attitudes et de motifs. Des regards. Soutenus ou pas par des mains et des doigts. « Le regard des regards », comme le sous-titre de l’ouvrage le décrit…

Jean-Michel visitait régulièrement les plateaux de films belges. Il n'est pas toujours évident de saisir le chaos d'un plateau dans une image captivante. Jean-Michel avait pourtant un grand nombre de photos de plateaux mémorables à son palmarès. Mémorables car d’intérêt historique. Tout en restant iconiques. Le sens de la composition de Jean-Michel et son instinct pour « l'instant décisif » sont uniques. Peu de photographes réussissent à résumer en une image à la fois l'atmosphère d’un film et celle de son tournage. Les clichés figurant dans le livre sont des exemples frappants de photojournalisme.

Le noir et blanc alterne avec la couleur. Parfois selon les désirs des rédactions, qui imposèrent ensuite le passage de l'analogique au numérique. De toute évidence, Jean-Michel se sentait plus à l’aise avec le noir et blanc. Pas que ses portraits en couleur soient de moindre qualité. Mais le noir et blanc est plus propice à l’abstraction, suscite davantage d’émotions, encourage la contemplation. Sur le cinéma belge et ses héros (francophones). Cet ouvrage nous interpelle sur la photographie, mais également sur la manière de regarder, sur l'implication intense et la passion d'un photographe pour son sujet. Un photographe dont seule la passion pouvait trahir le regard.

Traduction du texte par Grégory Cavinato

PIET GOETHALS