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Jean Ziegler, le bonheur d'être suisse d'Ana Ruiz

Publié le 01/02/1997 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Conscience critique

" Au début des années 90, et notamment après la guerre du Golfe, un sentiment de malaise s'est emparé de nombreux intellectuels, dont nous étions, par rapport à l'attitude des pays industrialisés à l'égard du Tiers monde. Après avoir réfléchi sur la réponse que nous pouvions donner à ce malaise, nous avons décidé de réaliser un film autour de la personnalité la plus emblématique de ce combat pour la dignité des pays du sud dans les relations sauvages qui les opposent aux puissants conglomérats nordistes."
Greta Van Bempt, productrice, explique la genèse de Jean Ziegler, le bonheur d'être suisse.

Jean Ziegler, le bonheur d'être suisse d'Ana Ruiz

Un film difficile à réaliser, à diffuser, du fait de la personnalité controversée de son principal protagoniste. Député de Genève, généreux héritier des idéaux sociaux-démocrates de l'après-guerre et d'aujourd'hui, comme tant d'autres en froid avec les gestionnaires au quotidien du socialisme du possible, Jean Ziegler dénonce sans relâche l'hypocrisie d'un système néo-libéral qui s'incarne dans les institutions bancaires de son pays, transformées par le regard du polémiste en vastes zones interlopes au service de l'argent fou. Durant 75 minutes, la caméra d'Ana Ruiz colle aux basques de Ziegler.

Pendant 75 minutes, Jean Ziegler parle : de son pays, de son peuple. La mentalité ultra-conformiste des suisses, engoncés dans leurs montagnes et nourris de la pensée de Calvin, sacralisant à outrance les valeurs de travail et de réussite sociale. De lui même aussi, de son combat: l'opposition au père, l'éveil de sa "conscience critique", ses rencontres (Che Guevara, Willy Brandt, François Mitterand,...), ses luttes.

Et puis surtout, Ziegler, on le montre: à Zurich, dans les alpages, en Afrique du sud, au parlement, chez lui... Le film est articulé autour de la personne et de la parole du vieux lutteur. On apprécie le sens de la synthèse et de la concision manifesté par les auteurs. En effet, résumer ainsi dans un film d'une heure et quart la pensée de l'écrivain, la mettre en situation, expliquer les réactions qu'elle suscite et décrire la situation délicate dans laquelle se trouve aujourd'hui Jean Ziegler, noyé sous les demandes de dommages et intérêts que lui intentent les légions d'avocats des puissantes banques suisses et de leurs importants clients n'est pas chose aisée. Le défi a été parfaitement relevé. On aurait cependant aimé moins de personnalisation pour sentir que derrière l'homme, c'est tout un courant de pensée qui se manifeste, qui s'interroge et qui se bat. L'image du héros solitaire face aux forteresses de l'Union des banques suisses est certainement porteuse, elle est aussi réductrice. On lui préférera celle d'une conscience entraînant avec elle une frange importante de l'opinion publique européenne. Une perspective un rien élargie aurait sans doute permis d'y arriver plus facilement.

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