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Julia d'Eric Zonca

Publié le 08/05/2008 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Dix ans après La vie rêvée des anges, Eric Zonca revient avec un film choc, bien loin de la soupe insipide à avaler en prime time que nous sert le cinéma français actuel. Retour sur un de ses thèmes de prédilection : la marginalité. Pour son dernier long métrage, le frenchie a décidé de tourner aux Etats-Unis et relève le pari périlleux de réussir un film que les Américains ne renieraient pas.
Portrait sans concession d’une femme en crise, Julia nous entraîne dans les déboires d’un personnage énigmatique de Los Angeles au fin fond du Mexique pour un road-movie embué d’alcool et de désespoir.

Une femme sous influence
affiche JuliaJulia est too much : il faut la voir perdre le contrôle et sa robe dans les soirées itiliques, vider les verres comme s’il en allait de sa vie, fleurir son vocabulaire de "fuck", "bitch" et autres noms d’oiseaux exotiques.
Julia boit, baise, s’écroule sur les trottoirs dans ses robes sexy, traîne sa chevelure rousse dans les bars et sa gueule de bois dans les petits matins blêmes. Son seul ami, Mitch (l’excellent Saul Rubinek) l’oblige à fréquenter les réunions des Alcooliques Anonymes auxquelles elle se rend de mauvaise grâce en titubant sur ses talons aiguilles. C’est là qu’elle va faire la connaissance de sa voisine mexicaine, Elena (Kate del Castillo) dont l’obsession est de kidnapper son fils Tom retenu par un grand-père milliardaire. De complice de kidnapping, Julia devient kidnappeuse, puis otage de bandits peu sympathiques. Cette oscillation permanente entre victime et bourreau fait d’elle un réel personnage de tragédie dans la plus pure tradition et abolit les frontières fictives entre les notions de bien et de mal. À elle seule, Julia incarne toutes les contradictions, entre beauté et laideur, douceur et violence.
Julia, c’est Tilda Swinton, l’icône de Derek Jarman, l’inoubliable Orlando de Sally Potter et plus récemment la monstrueuse (et touchante) avocate dans Michael Clayton de Tony Gilroy. Elle se donne tout entière dans une interprétation que certains jugeront peut-être excessive quand d’autres défendront un surjeu inhérent au personnage et au film. Plus qu’une interprétation, une réelle incarnation à la manière des grandes performances Actor Studio. Pas étonnant donc que l’ « héroïne » ait donné son nom au film : Julia est de tous les plans. Le réalisateur se focalise sur cet unique personnage en perte de repères. Comme elle, la caméra vacille, les images chavirent jusqu’à la nausée. Caméra au point, caméra coup de poing, Eric Zonca filme au plus près, de façon brutale et sans jamais magnifier. Un parti pris difficile qui fonctionne parfaitement dans une première partie en forme de portrait, mais qui devient laborieux dans les péripéties mexicaines et l’intervention un peu caricaturale des truands.
Si les seconds rôles ont un peu de mal à faire face à ce vampire flamboyant, si quelques longueurs se font parfois sentir, le film d’Eric Zonca parvient à nous faire partager un réel désir de cinéma à un moment où, chez les Français, le fait est assez rare pour être noté.

Julia d’Eric Zonca – 2008 – 140’
Avec : Tilda Swinton, Saul Rubinek, Kate del Castillo, Aidan Gould
Nick, Jude Ciccolella, Bruno Bichir 
Production déléguée : Les Productions Bagheera
Coproduction : Le Bureau, France 3 Cinéma, Studio Canal, Saga Films
Coproducteurs : Allen Bain, Jesse Scolaro, Hubert Toint, Jean-Jacques Neira