Cinergie.be

L'africain qui voulait voler, de Samantha Biffot

Publié le 05/02/2020 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

L'extraordinaire pouvoir des rêves… et du cinéma

Il y a de ces docus qui donnent envie de les voir, juste en lisant le pitch. Comment en effet ne pas avoir des étoiles dans les yeux lorsqu’on découvre l'histoire incroyable de Luc Bendza ! 

Enfant, ce Gabonais, se prend de passion pour les films films de Kung Fu dans lesquels les acteurs chinois volent dans les airs. Il rêve alors de se rendre en Chine pour apprendre lui aussi… à voler !  À force de persévérance et de foi, non seulement il parvient à réaliser son projet, mais traverse tous les obstacles pour intégrer le mythique temple Shaolin, devenir l'un des plus grands spécialistes de Wushu et finir par être lui-même un acteur de ces films qui le faisaient tant rêver enfant…  On perçoit d'évidence tout le potentiel d'un film fait sur base de ce fabuleux destin, et la richesse des thèmes secondaires qu'il permet d'aborder. Guère étonnant dès lors de voir les producteurs belges de Néon rouge et l'unité documentaire de la RTBF apporter leur soutien à la réalisatrice Samantha Biffot.

Le film sera projeté ce vendredi 07/07/2020 à 12h30' à Pointculture,145 Rue Royale à l'occasion de Doc sur le Pouce, co-organisé par le Centre du Film sur l'Art, Cinergie et Pointculture Bruxelles. 

Africain qui voulait volerÀ même pas trente ans, Samantha Biffot, Gabonaise qui a grandi entre son pays, la France et la Corée et qui sort diplômée de l'école supérieure de réalisation audiovisuelle de Paris, se lance dans cette histoire et ce destin hors du commun. Son film  convoque des thèmes aussi variés que le pouvoir des rêves, la puissance d'évocation du cinéma, mais aussi l'immigration, la difficulté de s'intégrer dans une culture riche d'elle-même et peu ouverte à l'étranger, et tous les rapports entre l'Afrique et la Chine dans un monde où tous les équilibres se bouleversent. Nous, Bruxellois, on ne peut  éviter de penser au destin un peu semblable de notre Jean-Claude Van Damme. Mais l'aventure de Luc Bendza est bien plus extraordinaire encore. Si passer de Bruxelles à Hollywood est une chose, passer du Gabon à la Chine est est une autre.

 

Comment surmonter les stéréotypes liés à sa couleur de peau et aux clichés sur l'Afrique, qui sont au moins autant ancrés là-bas qu'ici ? Comment apprendre vite à parler chinois, connaître un minimum des us et coutumes ? Et  enfin et surtout, comment pénétrer ce milieu des arts martiaux, profondément ancré dans le culture traditionnelle chinoise, proche du religieux et dans lequel aucun étranger n'a jamais fait ses classes ?  À 46 ans, établi en Chine, marié et père de famille, maître reconnu de Wushu et compétiteur respecté, cascadeur et acteur dans le cinéma chinois, proche des frères Chan, Luc Bendza a fait ce parcours qui force l'admiration et le respect. 

africain qui voulait voler

Pour mener à bien cette tâche difficile, la réalisatrice se place intelligemment à plusieurs niveaux. Centré sur la personnalité de Luc Bendza tel qu'il est aujourd'hui, le film retrace en parallèle, par inserts successifs, les aventures qu’ont mené le petit jeune homme de la banlieue populaire de Libreville à l'université des sports de Beijing. On l'y voit avec des stagiaires africains au temple Shaolin où il a été le premier noir à être éduqué. On le retrouve dans un parc; avec son épouse et ses enfants. On découvre des interviews de ses amis d'enfance, de sa famille, de ses collègues d'aujourd'hui et, bien sûr, de l'homme lui-même, mais aussi des petits films, tirés des archives privées de Luc et de ses amis, qui les montrent, enfants, s'exercer aux arts martiaux dans leur quartier des charbonnages à Libreville. Tout cela suit une rigoureuse logique temporelle et sociale. Au fur et à mesure du développement, cet homme sympathique mais un peu étrange qu'on perçoit au début s'étoffe des différentes facettes de sa personnalité. D'abord l'enfant tellement passionné dans son rêve de Kung Fu que plus rien d'autre n'existe. Ensuite l'ado déterminé à poursuivre ce rêve envers et contre tous et surtout ses parents, justement effrayés par l'ampleur du défi. Puis le sportif qui fera son ascension difficile dans un monde ultra fermé, enfin le mari et le père, et l'homme des films, avant de revenir au Gabon où on le retrouve en compagnie de ses amis d'enfance, trio de quadragénaires riant de leurs bêtises d'enfants. Et en filigrane sont évoqués un par un tous les thèmes secondaires. 

 

Visuellement aussi, la réalisatrice nous fait voyager, de la Chine souvent noyée de brume (ou de smog) avec quelques scènes typiquement chinoises (comme celle du parc avec le joueur de diabolo) au Gabon, filmé en couleurs plus saturées pour évoquer, selon la réalisatrice, le monde de l'enfance et du rêve. La musique, elle, est essentiellement composée d'airs populaires chinois pour évoquer l'idée que Luc Bendza a toujours été plus Chinois que Gabonais. Quoique… La réalisatrice réunit donc ici dans un kaléidoscope un peu vertigineux les éléments d'un portrait évocateur de notre époque que fascine les self made men à la volonté de fer, et qui porte en creux beaucoup de thèmes de réflexion tout aussi contemporains.

Tout à propos de: