L'œil qui jouit de Jean-François Rauger
Les éditions Yellow Now continuent à publier les introuvables écrits sur le cinéma vus par la critique française. Après ceux de Jacques Fieschi, Dominique Païni nous offre dans sa collection « Morceaux choisis », une sélection de textes de Jean-François Rauger, responsable de la programmation de la Cinémathèque française et rédacteur au Monde.
Quelques fragments : Cukor, les pro-situationnistes et Debord.
Georges Cukor, pour beaucoup de cinéphiles, vit dans une sorte d'entre-deux qui ne serait pas pour lui déplaire. A star is born (Une étoile est née) est connu et célébré (y compris en DVD), mais qu’en est-il des cinquante autres titres ? Rauger nous signale que Cukor, metteur en scène de théâtre à ses débuts, démarre dans le cinéma avec le parlant. Certes, mais encore : so what, please ? D'abord, donc, avec des adaptations théâtrales et littéraires qui donnent de la saveur à cette nouveauté qu'est le son. On lui doit une adaptation de Camille/Marguerite Gauthier d'après Alexandre Dumas fils ou David Copperfield d'après Charles Dickens. Ensuite, Cukor va étinceler dans la comédie matrimoniale (et sa sous-catégorie, la comédie dite de « remariage »). Stanley Cavell a analysé Adam's ribb (Madame porte culotte) et Hantise dans Philosophie des salles obscures. Rauger y ajoute l'indomptable The Philadolphia story (Indiscrétions). Comment une aristocrate issue de la côte Est (Katherine Hepburn) est sur le point de se remarier avec un monsieur récemment enrichi. Son premier époux (Carry Grant, moins agité que dans La femme du vendredi ou Arsenic et vieilles dentelles) décide de se remarier avec elle. Produit par Mankiewicz, cette satire du « tropisme de classe » laisse pantois.
Outre un long chapitre sur les grands et petits maîtres du cinéma américain, sur le cinéma asiatique, sur Renoir et Chabrol, le livre se termine avec Guy Debord. Un texte intitulé, « Pratique du détournement. Agonie des pensées de l'histoire ». Sur le cinéma des pro-situs de René Viénet (Les filles de Kamaré notamment), Rauger explique que le détournement des images est devenu très rapidement le paradigme du discours publicitaire (« sa technique » dira Pascal Bonitzer, cité dans l'article). Une sorte de second degré qui a fait florès et à lancé l'analphabétisme des postmodernes, ces cyniques ludiques qui ont promu la fin de l'Histoire mais pas de leurs petites histoires (les story-telling). Restent les films de Guy-Ernest Debord et surtout In girum imus nocte et consimimur igni (1978) dans lequel le détournement se dissout dans « le songe d'une vie ».
L'œil qui jouit, de Jean-François Rauger, éditions Yellow Now/Morceaux choisis.