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L’Île rouge de Robin Campillo

Publié le 30/06/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

L’île aux enfants 

Base militaire 181, Ivato, Madagascar, 1970. Dix ans après la signature des accords d’indépendance de l’île, les militaires français et leurs familles vivent la belle vie dans cet endroit paradisiaque encore soumis aux dictats du colonialisme, qui vit pourtant ses dernières heures. Le petit Thomas (Charlie Vauselle), 8 ans, un gamin introverti, vit entouré de ses parents (Nadia Tereszkiewicz et Quim Gutierrez), de deux frères aînés et des collègues et amis militaires de la famille. Pour passer le temps, caché dans une caisse ou derrière une fenêtre, il espionne les conversations des grandes personnes et se plonge dans la lecture des aventures de Fantômette, superhéroïne de romans enfantins à laquelle il s’identifie, car elle a la capacité de « voir les choses que les enfants n’imaginent même pas ».

L’Île rouge de Robin Campillo

Vu entièrement à hauteur d’enfant, le nouveau film de Robin Campillo (Les Revenants, 120 Battements par minute), une co-production franco-belgo-malgache, n’est pas à proprement parler une autobiographie, mais, à l’instar de Diane Kurys et de ses fictions inspirées de manière subtilement détournée de son enfance (Diabolo menthe, La Baule-les-Pins), le réalisateur intègre dans son récit de nombreux détails cocasses (des mots, des objets) de ses souvenirs, qui tranchent avec le contexte historique du soulèvement de Madagascar contre le régime français. Il fait la chronique des épisodes a priori dérisoires qui ont façonné l’homme qu’il est devenu et qui ont marqué l’enfant qu’il était, confronté à des thèmes qu’il ne comprenait pas encore : Thomas est témoin du racisme ordinaire de ses proches envers la population locale, mais aussi des petites mesquineries des couples mariés. Le possible divorce de ses parents et la violence conjugale sont subtilement suggérés tandis que son homosexualité est abordée de manière larvée : renfermé et fasciné par la lecture des aventures d’une fillette, Thomas est en effet considéré par son père et ses frères comme un garçon « différent ».

Au cours du film, Robin Campillo met en scène des bribes des aventures de Fantômette, intermèdes au style volontairement naïf parodiant les feuilletons pour enfants de l’époque, qui tranchent esthétiquement avec le reste. Si ces saynètes s’avèrent moyennement convaincantes (leur esthétique très lisse pourra rebuter), elles s’avèrent néanmoins utiles au récit, car elles font directement écho aux évènements dramatiques qui se produisent au fur et à mesure que Thomas, en pleine détresse, entrevoit la nature destructrice des hommes. 

Le rythme est lent, voire nonchalant, comme dans une rêverie, et les non-dits sont passionnants : l’exploitation des indigènes est abordée de manière détournée (c’est un pamphlet pour l’indépendance des Malgaches dans lequel les seuls personnages malgaches importants n’interviennent qu’à la dernière bobine), tandis que le désir d’émancipation de la mère (formidable Nadia Tereszkiewicz, qui compose un personnage au comportement trouble derrière un sourire immuable) est sans cesse contrecarré par sa soumission à un mari autoritaire. Mais Campillo ne juge personne : même ce père soupe au lait et un peu effrayant est dépeint avec une réelle tendresse.

 

Le réalisateur semble avoir gagné en maturité depuis 120 Battements par minute (ses revendications, cette fois, se font en sourdine). Il signe une œuvre politique sur un pays à l’histoire complexe, aussi personnelle que subtile dans sa volonté de ne rien expliciter de manière trop soulignée tout en développant un sous-texte passionnant.

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