La direction d’acteur, carnation-incarnation, coordonné par Frédéric Sojcher
La direction d’acteur, carnation-incarnation, coordonné par Frédéric Sojcher.
Dans le webzine 129 (juillet-août 2008), nous vous avons parlé de l’énigme de l’acteur à partir de textes édités dans Trafic 65. Un numéro spécial consacré au métier le plus troublant du cinéma : rendre visible l’invisible sur l’écran. Frédéric Sojcher, dans le cadre du master professionnel en scénario, réalisation et production qu’il anime à Paris I, Panthéon-Sorbonne, a coordonné des débats sur le thème de la direction d’acteur. Une réflexion passionnante sur les liens unissant cinéastes et acteurs. La direction d’acteur, un livre qui vient de paraître, reprend ces rencontres entre étudiants et professionnels du cinéma.
D’emblée, Frédéric Sojcher insiste sur l’idée que la mise en scène « ne peut être qu’une simple exécution du scénario. » (Rappelons la formule percutante de Billy Wilder : « le scénariste, c’est celui qui baratine la fille, et le réalisateur celui qui se la tape »).
Le jeu de l’acteur, l’incarnation du personnage qu’il interprète est particulière parce qu’elle se situe dans la relation qu’il entretient avec le réalisateur. Pas de direction d’acteur, pas d’amour sans rapport de force. Comme en amour, il y a plusieurs types d’étreintes : platonique (dans le non-dit, dans l’admiration tacite), complice (avec le sentiment de se comprendre), fusionnelle (quand l’acteur et son cinéaste ne font qu’un). Dans ce jeu, qui vampirise qui ? Le réalisateur peut vampiriser son acteur et vice-versa. Au point que certains acteurs n’hésitent pas à voler le pouvoir au cinéaste.
Drôle d’étreinte.
Absence d’autorité du réalisateur, révolte contre le père, hystérie passagère, une manière sado-masochiste d’envoyer tout un film dans les cordes vers un inconnu que personne ne connaîtra jamais. On sait que le corps est dans le paraître au théâtre et dans l’être au cinéma. D’où l’angoisse des acteurs face à une caméra qui ne ressemble pas à la chaleur d’un public dans une salle.
Le corps de l’acteur n’est pas perçu de la même manière ne fût-ce qu’à cause de la différence existant entre le gros plan, le plan moyen et le plan large. Plutôt que de « diriger » les acteurs, le cinéaste donne la direction du fil partagé entre un art de la maîtrise et du lâcher prise, du don et de la captation. Il y a un décalage entre les acteurs, souvent les stars, qui sont dans la maîtrise de leur rôle et ceux qui, ayant confiance dans la captation, se permettent de lâcher prise, se donnent complètement « comme on se donne en faisant l’amour, en jouant davantage sur l’émotion que sur la citation du texte. Le corps de l’acteur peut être celui d’exprimer l’instinct comme on évoque l’intuition féminine », offrant une sorte de corps à corps à la perception du spectateur.
La confiance que nous accordons à l’acteur, souligne Luc Delisse, « est le vrai mystère lié à l’incarnation des personnages ». Qu’est-ce qu’une fiction ? Un acte de schizophrénie ? Sur un écran blanc, « un pacte entre conscience et rêve ? , voire, une convention qui doit affronter l’énigme majeure du Sphinx : comment faire vivre des personnages qui n’existent pas ? » Les propos de cinéastes et de metteurs en scène comme Olivier Assayas, Patrice Chéreau, Michel Deville, Karim Dridri, Bruno Dumont, Claude Lelouch, Daniel Mesguich sont souvent passionnants et nous permettent d’explorer le métier du côté face.
La direction d’acteur, carnation, incarnation nous offre le côté du miroir sans tain. Parmi les nombreux sujets abordés, voyons brièvement ceux qui sont consacrés aux acteurs non-professionnels. Bruno Dumont nous intéresse pour son utilisation toute bressonienne des non-acteurs. « Quand j’ai présenté La vie de Jésus à 3B Productions, ils m’ont dit, tu dois travailler avec des acteurs. J’ai dit non. Je ne savais pas où j’allais, ce n’est pas quelque chose que je maîtrisais ; maintenant, j’ai appris à diriger ce qu’on appelle des non-acteurs, des gens qui n’ont pas de formation au jeu ». Dumont cite ses films fondateurs, le premier rôle de Lacombe Lucien (Malle), les films de Pialat, de Rossellini, Jacques Doillon. « Dans La Drôlesse, il y a un jeune garçon d’une vingtaine d’années un peu simple d’esprit que je trouvais extraordinaire. Ce côté pas net, pas usiné, c’est-à-dire pas industriel, me plaît énormément. J’ai besoin que le bois ne soit pas droit. Et parce qu’il n’est pas droit, il est vrai… » À l’inverse, Olivier Assayas nous décrit le jeu de Jean-Pierre Léaud. « Lorsque vous écrivez une scène, Jean-Pierre la restitue au millimètre près ; il absorbe le texte et il n’en variera pas d’un trait, c’est presque un respect maniaque des mots, une obsession de la mémoire ». Nous apprenons que Léaud a besoin du texte des semaines à l’avance, prend une étudiante pour répéter son texte et le restitue tel quel.
La direction d’acteur, coordonné par Frédéric Sojcher, éditions du Rocher.