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La Fille au bracelet de Stéphane Demoustier

Publié le 21/02/2020 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Sous la surface


Le cinéaste français Stéphane Demoustier continue son incursion dans les dysfonctionnements familiaux et sociétaux. Après Terre battue en 2014, et Allons enfants quatre ans plus tard, il signe ici son troisième long-métrage La Fille au bracelet. Le bracelet n’est pas ici un ornement décoratif destiné à se parer pour séduire, le bracelet dont il est question est celui que Lise (Melissa Guers), 18 ans, doit porter à la cheville depuis deux ans, dans l’attente de son procès en cours d’assises.

Qui est donc Lise, cette jeune fille de 18 ans plutôt jolie, froide aussi, qui semble se taire aux plus mauvais moments et prendre la parole pour semer le doute le plus profond ? Le sait-il ce père taiseux et inquiet incarné magistralement par Roschdy Zem (qui n’est d'ailleurs jamais aussi impressionnant que lorsqu’il se mure dans le silence) ?  Le sait-elle cette mère pudique et en retrait incarnée par Chiara Mastroianni et qui n’a pas le courage d’assister, dans un premier temps, au jugement qui va pourtant décider du futur de sa propre fille ?

Au fil du procès qui aura lieu tout au long du métrage et auquel la caméra ne s’extrait qu’à de rares moments, Lise s’opacifie, accusée avec fougue par l’avocate générale (intraitable Anaïs Demoustier), défendue avec force par la sienne (Annie Mercier). Le spectateur se retrouve alors dans la peau d'un juré, sans cesse balloté entre « les oui c’est elle » et les « non bien sûr » et ne sait plus à quel saint se vouer. Enfermée dans sa cage de verre qui accentue bien évidemment la distance et la froideur, la jeune fille assez peu sympathique est donc accusée d’avoir poignardé de 7 coups de couteaux sa meilleure amie (et amante occasionnelle) Flora qui avait eu la fâcheuse idée de poster une vidéo compromettante sur les réseaux sociaux.

Au-delà de cette histoire personnelle, c’est donc le portrait d’une jeunesse que les adultes ne parviennent plus à suivre qui est dressé ici avec une grande justesse, une adolescence avide d’expériences, et pour laquelle les gestes d’ordinaire les plus chargés de sens ne possèdent plus aucune profondeur et s’accomplissent avec une légèreté déconcertante.

Car que savent vraiment les parents de ces intimes étrangers qui vivent sous leurs toits ? Sur un fil de récit tendu à se rompre, où alternent séquences familiales et reprises des audiences, c'est la question essentielle que pose ce film et qui y répond : à peu près rien. Et c'est ce à quoi devront se confronter publiquement les parents de Lise au fur et à mesure de la découverte des pièces du dossier.

Le tribunal a tout à faire avec le théâtre et le cinéma. Il est le lieu de la représentation même, où sans cesse se brouille fiction et réalité.

Stéphane Demoustier nous livre donc ici son film de procès qui est en soi un genre à part entière. Loin de faire la liste exhaustive de tous les films formidables qui ont jalonné l’histoire du cinéma (et surtout américains), La Fille au bracelet sans être un chef-d’œuvre inoubliable du genre, est une véritable réussite à plusieurs niveaux : il donne au spectateur une place prépondérante qui le maintient dans une tension constante, et transforme le tribunal en place publique où tous les travers de la société sont comme exacerbés.

Dans ce théâtre judiciaire, la caméra décortique les attitudes et rôles de chacun. Derrière les discours et la rigidité des professionnels de la justice et leur jargon, se révèle une humanité incertaine pétrie par les idées reçues d'une société amplement misogyne et conservatrice… « Etes-vous ce que l’on pourrait appeler une fille légère » ?,  lui demande t-on ? A-t-on idée de demander au garçon participant bien volontiers à la même action s’il est lui, léger ? Evidemment non.

Sobre, presque aride, le cinéaste refuse tout sensationnalisme à l’instar d’une première scène à la plage, filmée de très très loin où les gendarmes viennent chercher la jeune fille qui les accompagne sans un mot. Et si cette première scène donne déjà le ton d’une idée forte et radicale de mise en scène qui nous privera de tout accès à l’intériorité de son personnage principal, la dernière scène assez stupéfiante, défait tout ce qui a été fait, révélant de manière magistrale que de vérité, il n’y en a peut-être tout simplement pas.

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