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La Part du chat de Jeremy Hamers.

Publié le 14/11/2007 par Philippe Simon / Catégorie: Critique
La Part du chat de Jeremy Hamers.

La Part du Chat est présenté dans le cadre du Panorama biennal du Cinéma documentaire belge.

 

Que dit la mort aujourd’hui ?
Une tragédie ordinaire, une mort banale, pas même trois lignes dans un journal brésilien, là-bas dans cet état de Goiás, à Carmo do Rio Verde, là où, dans ces champs de cannes à sucre, s’épuisent des hommes exilés en un travail de forçat, en un enfer quotidien.
Quand un jeune homme meurt d’une septicémie suite à une blessure pas soignée alors qu‘il travaille 14 heures par jour, que se cache t-il derrière cette disparition silencieuse, derrière ce fait-divers pas même sordide tant la platitude de son énoncé trouve sa vérité dans l’évidence biologique de la maladie ?
Une mort qui laisse pourtant penser qu’il en est d’autres, qu’elle n’est pas seule, pas vraiment le fait d’un accident isolé, mais l’expression d’une façon d’user de la vie d’autrui, le résultat d‘une manière de s‘enrichir et d‘exploiter le travail de ceux qui cherchent simplement à survivre.
Que nous dit cette mort presque anonyme dans un monde à la fois si lointain et si proche de nous, et qui voit une vie s’éteindre dans le silence et l’indifférence de ceux qui, de quelque manière que ce soit, en sont responsables ?

La Part du chat, le film documentaire de Jeremy Hamers met, avec une intelligence et une émotion volontairement cruelles, des images sur ces silences, sur ce déni permanent qui accompagne le travail et le sort de ceux qui acceptent un état de fait qui à plus ou moins long terme, suppose leur disparition, voire leur fin.
Jouant d’une économie de moyens exemplaire, Jeremy Hamers construit son film
entre constat et mise en cause. Avec une science du cadre et de la durée, il nous donne à voir, en une série de séquences maîtrisées, une journée de travail de ces déracinés de la canne à sucre. Plans cadrés au plus juste de la raison de leur exploitation, d’une précision chirurgicale quant à ces corps qui produisent et reproduisent cette dépendance salariale, plans réellement documentaires qui évacuent toute considération sentimentale,
Parallèlement à ces images qui forcent la réflexion, une correspondance épistolaire à sens unique entre Tiao (celui qui travaille et écrit) et sa compagne Terezina (celle qui est restée au pays et qui, comme nous, attend et entend les lettres de Tiao) nous laisse entrevoir ce qui se joue de terrible dans cet exil et d‘inacceptable dans cette exploitation. Au fil des lettres, se mettent en place les composantes d’un drame qui va nous toucher là où cela dérange, où cela surtout pose question.
Jeremy Hamers, en nous montrant simplement ce qu’il en est de ces journées de travail, énonce une mort avant la mort. Son approche sobre et efficace ne tombe jamais dans la démonstration. Sans commentaire, sans l’ombre d’une forme d’argumentation, il parie sur la présence du son direct pour répercuter ce qui à l’image est effort et engourdissement, labeur et renoncement.
Et comme s’opère la pertinence de ce qui est vu, nous devenons ce quotidien de sueur et de suie et subissons cette servitude volontaire jusque dans sa fatale conclusion.
La Part du chat est un film réussi, nécessaire, et qui donne la part belle au cinéma. Et c’est sans doute par sa confiance dans cette parole imaginaire des images et des sons que La Part du chat dépasse le simple constat, la simple dénonciation pour se poser comme une véritable aventure cinématographique dont le spectateur peut s‘approprier et le risque et l‘enjeu.

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