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La Patinoire de Jean-Philippe Toussaint

Publié le 01/02/1999 par Théo Salina / Catégorie: Critique

Jean-Pierre Cassel, Dolorès Chaplin, Mireille Perrier, Marie-France Pisier... Installé à Paris, Jean-Philippe Toussaint réunit dans la Patinoire une distribution plutôt kitch... Ajoutez-y le français rudimentaire de quelques Italiens, le petit nègre de l'équipe lituanienne de hockey, la touche de patois flamand de Dominique Deruddere et l'américain mâchouillé de Bruce Campbell (Evil Dead) : les accents colorés font comme des grumeaux dans un melting-pot propice à toutes sortes de cocasseries et malentendus.

La joyeuse coproduction que voici !

La Patinoire de Jean-Philippe Toussaint

Dolorès, 24, deuxième... Mièvrerie amoureuse de première catégorie, le film sera-t-il prêt pour les sélections de la Mostra de Venise ? Sur la glace où il avance à tâtons, le réalisateur campé par Tom Novembre compose tant bien que mal avec toutes sortes d'imprévus, peaux de banane et autres jambes cassées : sur une patinoire plus que partout ailleurs, le tournage s'avère un terrain drôlement glissant. Mais, c'est la magie du cinéma, dit-on...
"Pour atteindre le vrai, il faut souvent passer par le faux". Clap.
"C'est un film très construit, comme si j'avais besoin de me cacher derrière des formes très élaborées, pour n'aborder l'histoire d'amour qu'avec pudeur !" Clap.
"Je me protège derrière une technique qui, maîtrisée, permet d'aller plus loin dans l'intimité..."

En pleine remise en question, absorbé par ses doutes existentiels, le pauvre chef d'orchestre est plutôt à côté de ses pompes : "Moteur", beugle-t-il enfin, alors que sous les projecteurs la danseuse potiche et le belâtre de service s'embrassent déjà goulûment.
"Faut-il traiter l'histoire d'amour ou laisser les choses se faire toutes seules, en attendant l'imprévu ?" demande-t-il, perplexe, aux amants pressés de s'en retourner forniquer en coulisse.
Toujours un temps de retard sur la réalité...

 

La mise en abîme est classique et, à travers son alter ego, Jean-Philippe Toussaint tourne en dérision, voire en parodie burlesque, ce cinéma qui s'interroge sur sa nature, se prend au sérieux et discourt sur lui-même. Même en présence d'une interprète en tutu, quel hockeyeur professionnel lituanien comprendrait Mitry ou Deleuze ? Evidemment, de son côté, sans les images d'archives, qu'entendrait notre illuminé aux mille et un souvenirs olympiques du directeur de la patinoire ?
La glace est un miroir, et chacun reste dans son monde : en combinaison noire moulante, talkie à la main, l'assistante se prend pour une Emma Peel plus aérodynamique que jamais, et s'étale à toute allure contre la balustrade. Dans ce cirque désaccordé, les aléas s'accumulent, les gags s'enfilent comme des perles, dans un désordre joyeux, au rythme du rock électrique de Placebo ou des triples saltos des virtuoses classiques...

 

Pourtant, bientôt, le film est prêt. On ne sait pas bien comment on a fait. C'est la magie du cinéma. Jusque dans l'hélicoptère qui les emmène d'urgence à Rome : dans le vacarme des pales, l'éternel indécis décide de rouvrir les bobines et de couper, finalement, ce fameux plan... Les choses vont trop vite, a-t-on vraiment le besoin ou le temps de la certitude ? De toute manière, c'est seulement face à la mort que la réalité reprendra ses droits : devant l'écran où de jeunes excités répartis en équipes agitent leurs crosses et se bousculent pour un palais, le vieux président du festival rend son dernier soupir de cardiaque.

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