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Le Balai libéré de Coline Grando

Publié le 17/04/2023 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Documentaire autant qu'incitation à la rébellion, Le Balai libéré de Coline Grando retrace l'épopée qui fut celle de l'association du même nom, fondée le 10 mars 1975 par les ouvrières de la société de nettoyage liée à l'université catholique de Louvain. À coups de déclarations cinglantes et de textes sans équivoques, elles ont chassé leur patron pour se constituer en équipe autonome et autogérée. Une utopie ? Pas pendant les quatorze années de son existence prospère, jusqu'à ce qu'au début des années 1990, le marché les rattrape, avec son lot de contraintes et de normes, marinées dans le jus du capitalisme.

Le Balai libéré de Coline Grando

Tout commençait pourtant si bien, dans ce Balai libéré aux accents si joviaux. À coups d'archives et de chansons, Coline Grando nous introduit dans les années septante pleines d'espoir et de liberté. Et puis tout devient morne, le temps passe, le ratio change. Exit les rires et chansons pour faire place au présent bien plus terne d'une université désormais nettoyée selon des quotas, des ratios de qualité, où l'humain n'est plus qu'une variable de coût. Ce constat, la cinéaste le pose dès les premiers témoignages face caméra qu'elle met en scène, sans artifices. Ici, c'est la parole et la discussion qui créent le contenu, la forme qui induit le fond. En mettant en relation les ouvrières de 1970 avec celles et ceux d'aujourd'hui, nous sommes face au passage du temps et au changement d'un monde. De là à proférer la sempiternelle, "c'était mieux avant"?
On n’en est pas si loin…

Car depuis la fin de l'utopie associative, les travailleuses et travailleurs ne sont plus que des pions que des sociétés privées placent et s'échangent pour remporter des appels d'offres toujours plus compétitifs. Tout le monde le sait, tout le monde le fait, il n'y a pas d'échappatoires. "C'est ça, ou bien tu ne travailles plus," constate amèrement l'une de ces travailleuses. Et dans notre société "moderne", l'absence de travail c'est se retrouver voué à l'inexistence, à l'oubli et à la grande précarité. Le contraste est flagrant entre les témoins du passé et les actrices du présent, une différence qui se retrouve dans les images. Silences et ambiances de désert humain accompagnent les ouvrières du présent, tandis que bravade, sourires et détermination colorent les archives et les visages des témoins de ce temps révolu.

Une inspiration pour un renouveau ? Rien n'est moins sûr, lorsqu'on entend les garde-fous qui ont été mis en place pour prévenir ce type d'initiative collective, cauchemar d'une société capitaliste fondée sur le profit et l'individualisme.

Pour déconstruire ce mode de vie, il faudra du temps, de l'énergie, et une solidarité retrouvée. Et, certains militants de le souligner également, un recours à la violence qui a été muselé et qui est devenu l'apanage de l'État et des puissants. Sommes-nous prêtes et prêts aujourd'hui à sortir de nos zones de confort pour y avoir recours ? Coline Grando semble nous suggérer de se tourner vers le passé pour trouver la force de se libérer à nouveau, comme ces ouvrières d'un temps pas si lointain qui déjà avaient compris que pour se libérer pleinement du joug du travail, il fallait commencer par chasser son patron à coups de balai.

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