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Le Festival du Film de Bruxelles. Stéthoscope du cinéma européen

Publié le 07/07/2008 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Événement

Six ans déjà que le Festival de Bruxelles plante ses tréteaux dans le bâtiment Flagey et alentours. Sur la Place Sainte Croix, le long du "Paquebot", tout est en place pour un accueil convivial. Un bar et une terrasse rassemblent les estivants dans le soleil, des musicos tapent le bœuf au milieu des passants, un écran géant est installé pour les projections publiques en plein air (tous les jours à 22 heures, entrée gratuite)… bref une petite dose de plaisir nonchalant qui ne se refuse pas. Atmosphère, atmosphère…

Le Festival du Film de BruxellesMichel De Schaetzen : C'est Henri Ingberg qui est venu voir Dominique Janne lorsqu'il s'est confirmé que l’équipe qui assurait le Festival International du Film de Bruxelles ne poursuivrait pas l’aventure. Il souhaitait insuffler une nouvelle vie à l'expérience d'un festival généraliste à Bruxelles. Dominique Janne s’est déclaré partant, à condition de pouvoir mettre sur pied un événement qui soit plus en lien avec la production, d'aller à la recherche des nouveaux talents, de pousser les projets qui changent le paysage audiovisuel. Il s’est donc, assez logiquement, orienté vers le choix de programmation actuel, qui n’est pas une limitation, bien au contraire. Nous sommes au cœur de l’Europe, intéressons-nous d'abord au foisonnement culturel qui caractérise notre continent.À l'intérieur du bâtiment, la sélection du Festival est essentiellement basée sur des premières œuvres du cinéma européen. Le choix de se consacrer à ces premiers films venus de toute l'Europe et présentant un cinéma volontiers hors des sentiers battus constitue un pari risqué. Ses auteurs ? Dominique Janne et Jan De Clercq. À la tête de l'équipe, ces figures en vue de la profession cinématographique belge établissent des liens forts entre le Festival et le monde de la production et de la distribution. 


Michel De Schaetzen, Coordinateur général, et le programmateur Dries Notredame, deux chevilles ouvrières qu'on retrouve partout sur le terrain, nous font découvrir ce jeune festival plein d'intérêt. Ils répondent à nos questions dans les bureaux de K2, la maison de production de Dominique Janne, située de l'autre côté de la Place Flagey.

Nous sommes presque repartis de zéro en renouvelant totalement l’image du Festival. Petit à petit, nous imposons notre concept, mais c'est un travail de longue haleine. Chez nous, il n'y a pas d’Almodovar, pas de Kusturica, mais des premiers et des deuxièmes films. C’est plus difficile : le public préfère se raccrocher à de grands noms. Nous voudrions être au cinéma ce que les nuits du Botanique sont à la musique. On y va pour découvrir les groupes qui seront, l’année suivante, dans les grands festivals d’été. Nous essayons de faire un label qui dit au public : "Venez si vous êtes curieux, et vous découvrirez avant les autres les films et les réalisateurs à suivre. Ceux qui après avoir présenté leur premier ou deuxième film chez nous, s’en vont à Cannes où ils seront découverts par le tout grand public".

Dries Notredame : Cela nous est arrivé, par exemple avec le Hongrois Kornél Mundruczó, dont nous avons présenté le premier film en 2005, Johanna. Cette année, avec son nouveau film, Delta, il était à Cannes, en compétition, et tout le monde le trouve génial. Mais c’est notre festival qui l’a découvert. Nous en sommes très contents. C'est cela notre mission, je pense.

Cinergie : Depuis six ans, vous vous intéressez beaucoup aux cinémas du Nord (islandais, danois, suédois, allemand,…) et d’Europe centrale et de l’Est (polonais, hongrois,…). Et vous programmez des films très singuliers, avec une vision marquée « Arty ». C’est un choix délibéré ?
D. N. : En allant chercher des premiers films de jeunes réalisateurs, on tombe forcément sur un cinéma qui tente de se démarquer du reste de la production. Nous allons dans tous les pays d’Europe, et essayons de nous faire le reflet des diverses tendances du cinéma européen. Mais nous constatons, de fait, que le cinéma scandinave et est-européen en ce moment est particulièrement bouillonnant. D'abord, ces pays ont connu dans les quinze dernières années une vague de liberté artistique et culturelle, notamment dans le bloc de l’Est, suite au basculement des régimes. Cette liberté, la génération de réalisateurs qui se lancent aujourd’hui dans leur premier film l'a expérimentée, et le résultat de cette expérience se transcrit aujourd’hui dans leurs premières œuvres. D’où un cinéma particulièrement innovant, original et inventif qui retient l’attention de tous les festivals (pas seulement du nôtre). Ensuite, il n'y a pas, dans ces pays, d'industrie du cinéma à proprement parler, ou de circuit de production puissamment établi, à la différence de ce qui existe en France, en Italie ou en Espagne, par exemple. Donc, les jeunes qui font un premier film qui attire l’attention ont le plus souvent l’opportunité d’en faire un second dans le même créneau original. Il y a sans doute autant d’inventivité en France, mais les jeunes talents originaux ont peut-être moins d’opportunité de faire des films. Et ils peuvent encore plus rarement persévérer sans entrer dans le circuit de production traditionnel, qui est beaucoup plus frileux.
M. D. S . : Cette année, on a quand même trois films français, et quatre films espagnols, ce n’est pas rien. Nous sommes aussi très contents quand nous avons du nouveau cinéma grec ou suisse. On cherche…


C. : Il y a aussi au Festival un certain Jan De Clercq, un des distributeurs les plus puissants du circuit Art et Essai en Belgique (BFD, ex Lumière). Quel est son rôle dans cette programmation ?
D. N. : En tant que distributeur, Jan a beaucoup de contacts, il voit aussi beaucoup de films et il est donc bien au courant de ce qui se passe. Il participe depuis le début à l’expérience du Festival et est particulièrement bien placé pour savoir quel film nous intéressera. En fait, il nous donne des indications, il nous oriente.

C. : Si je vous suis bien, c’est davantage un rôle d’éclaireur que de décideur. Mais comment alors se décide la sélection pour la compétition officielle, les révélations ou les avant-premières ?
M. D. S . : C’est Jan qui chapeaute cela, avec Dries et moi qui regardons comment on place les films. Donc on est à trois, on a tous vu les mêmes films, et on discute comment avoir une offre équilibrée, qui plaise au public et le fasse réagir.
D. N. : En compétition, nous serons surtout attentifs à présenter un plateau représentatif, avec des comédies mais aussi des films plus noirs, ou plus dramatiques, et un panorama des différentes facettes du cinéma européen. Pour les révélations, nous nous focaliserons davantage sur des réalisateurs indépendants qui ont produit des films personnels avec peu de moyens, tandis que les avant-premières ce sont des films qui sortiront en salles dans les mois qui viennent.

C. : Il a aussi une sélection de films spécifiquement belges que vous présentez sous l’étiquette Belgian talents. Il y a deux films francophones et deux films néerlandophones qui ont déjà leur carrière derrière eux. Ils sont sortis en salle et le public les connaît. Pourquoi ne pas se focaliser plutôt sur des films belges encore inconnus du public ?
M. D. S . : C’est encore une manière de mieux expliquer notre démarche de programmation au spectateur. Il a besoin de se raccrocher à des choses qu’il connaît. C’est comme si nous lui disions : "Ces films-là, vous les connaissez ? Et bien c’est exactement ce que nous programmons. Ce sont des films de ce type que vous découvrirez". C’est aussi l’idée de base des projections extérieures. Ce sont des films largement connus : Delicatessen, Le huitième jour,… Pourtant, ce sont tous des premiers et des deuxièmes films. Cela permet aux gens de mieux comprendre quelle est notre philosophie, quel est le label Festival du film, en se raccrochant à quelque chose de connu.
D. N. : Nous voulons aussi refléter l’énorme "boom" que connaît le cinéma belge depuis quelques années. De plus en plus de jeunes réalisateurs ont l’occasion de faire un premier film et atteignent une reconnaissance internationale, comme récemment à Cannes, Christophe Van Rompaey avec Aanrijding in Moscou, ou Joachim Lafosse avec Elève libre. C’est notre rôle en tant que Festival de Bruxelles et comme découvreur de talents d’attirer l’attention du spectateur sur ce qui se passe en Belgique. Une manière de dire : "Vous voyez, cela se passe en Belgique, où plein d’autres jeunes talents éclosent. Soyez-y attentifs."

  

M. D. S . : C’est aussi notre volonté de programmer du jeune cinéma belge. Joachim Lafosse fait d’ailleurs partie des personnes que nous avons révélées avant tout le monde. Il se fait simplement que cette année, nous n'avons pas trouvé de films à présenter en programmation officielle. Par ailleurs, il ne s’agit pas de programmer belge pour programmer belge, il faut aussi faire des programmations qui aident le film.


C. : Autre pari risqué pour le Festival, c’est qu’il se situe fin juin, début juillet, à une époque où Bruxelles s’endort un peu.

M. D. S . : C’est ce qu’on dit parfois, mais je ne suis pas d’accord. Je pense que c’est une période propice pour le public des 18-30 ans, une part importante de notre audience. Entre la fin des examens et les départs en vacances, cette frange du public dispose de temps libre. On me rétorquera que l’été, les gens ne vont pas au cinéma. Ce n’est pas si évident. Et c’est aussi pour cela que nous cherchons aussi à créer toute une vie conviviale autour du festival, avec des animations musicales, une terrasse où on va boire un verre, des open screens qui nous permettent de sortir du bâtiment Flagey et qui ont toujours un vif succès,… Bref, nous sommes un vrai festival d’été, mais où l’on va dans une salle obscure pour voir de bons films. Et c’est en été que sortent en salles les films du jeune cinéma. C’est un positionnement stratégique.


C. : La compétition officielle est un impressionnant panorama qui va de la Finlande à l’Espagne, de la Suisse à la Slovaquie et la Russie, avec même des films de Bosnie, de Macédoine. Est-ce que vous pouvez nous en indiquer les grands axes ?
M. D. S . : La première chose remarquable, c’est que nous n'avons pas moins de quatre réalisateurs que nous avions déjà vus avec leur premier film et qui nous reviennent avec le deuxième. Il s'agit de Teona Mitevska avec I am From Tito Veles, Andrzej Jakumovski pour Tricks; Srdjan Vuletic qui avait gagné l’Iris d’Or en 2004 avec son premier film et qui nous revient avec It’s Hard to be Nice, et enfin le Danois Jakob Thuesen, déjà présent en 2005 et qui revient avec Erik Nietsche, un film particulièrement intéressant produit et scénarisé par Lars Von Trier. Il y raconte ses années d’étudiant en cinéma dans un institut de Copenhague qui pourrait être le pendant de l’INRACI à Bruxelles.

Une tendance que je remarque aussi dans les films programmés cette année, c'est une emprise sociale de plus en plus forte, avec des films qui traitent, parfois sur un ton léger d’ailleurs, de sujets de société graves comme le déracinement, l’acculturation, la pauvreté, l’errance…Prenons Versailles, un drame social très emblématique de l’état d’une certaine société française, ou Blind Loves, le seul documentaire de la compétition, mais un documentaire très fort, intense, réalisé comme une fiction. On retiendra aussi Involuntary, une étude presque sociologique de la société suédoise, ou encore Heart of Fire le premier film personnel du coréalisateur de L’histoire du chameau qui pleure, qui raconte une histoire de guerre en Erythrée, une magnifique histoire de femme.

C. : Ces films vont être départagés par un jury où, comme à l’habitude, on ne retrouve pas de grands noms mais des gens assez jeunes, un peu à l’image du cinéma que vous défendez ?
M. D. S . : C’est cela. On essaye d’avoir des personnes représentatives de ce qui fait bouger le cinéma en Europe actuellement. Des personnes jeunes et qui dynamisent le ciné européen qui choisiront en toute liberté le meilleur de la programmation de cette année.