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Le musical Hollywoodien , histoire, esthétique, création. Sous la direction de N.T. Binh et José Moure

Publié le 14/10/2021 par Bertrand Gevart / Catégorie: Livre & Publication

Avec l’ouvrage collectif Le musical Hollywoodien. Histoire, esthétique, création, N.T. Binh et José Moure nous entraînent dans les pas enivrés, légers, politiques parfois, de Fred Astaire à Gene Kelly en passant par Glee, Minelli et les séries contemporaines. Cette traversée de l’atlantique à pas soutenus et accordés, repose sur un décloisonnement du genre musical poursuivant les traces et repérant les continuités de ses origines à nos jours. Avec pas moins de 500 pages soutenues et ponctuées d’illustrations comme celles de Rouben Mamoulian dans les années 1930, les magnifiques contributions abordent successivement des questions du spectacle, du genre, du regard, des rapports entre danse, corps et caméra.

 
Le musical Hollywoodien , histoire, esthétique, création. Sous la direction de N.T. Binh et José Moure

Dans son introduction intitulé « Trop de plaisir ? », N.T. Binh écrit : «  En tant que genre cinématographique, la comédie musicale hollywoodienne a mis du temps à être "prise au sérieux", que ce soit par les milieux intellectuels, la presse spécialisée, la profession... et même le public, en tout cas en France… d'une part, la vocation assumée du genre comme « divertissement » en a fait un synonyme de spectacle sans profondeur et de dégradation des formes nobles… La comédie musicale procure trop de plaisir pour être considérée sérieusement ». Ces premiers mots résonnent comme un avertissement et un aveu guidant l’ensemble de l’ouvrage, celui de l’ambiguïté du genre musical qui ne saurait se limiter à une codification univoque. Mineur, considéré à maints égards comme « pur divertissement », coûteux et frivole, encombrant à produire, provoquant un renoncement au réalisme, il est un genre populaire. En effet, beaucoup de comédies musicales ont une origine scénique et sont des adaptations comme le souligne le livre dans le Chapitre « Fondations ». La question de la polysémie du terme « musical » forme rapidement le point névralgique du livre et irrigue les divers chapitres. Il y aurait donc la comédie musicale ou le « music-hall film », mais le terme semble poser problème par le caractère restrictif de « comédie ». L’on retrouve alors une acception plus large dans le livre, un sens plus décloisonné qui est celui de toute forme de spectacle musical intégrant bien entendu les films dans lesquels se trouvent des passages dansés. Sur ce point, Alain Masson souligne l’importance de la particularité syntaxique du genre en faisant reposer le musical sur la différenciation de deux types de segments filmiques à savoir le narratif et le spectaculaire, mais dont l’investissement esthétique et commercial porte sur des segments « faiblement narratifs consacrés au chant et à la danse ».

 

La première partie intitulée « Fondations » souligne l’importance du genre avant les années 1950 et dont les influences sont multiples et mélangent les « revues » et « narrations ». Suivant cet axe, Rick Altman accentue les rapports intermédiaux et intertextuels profonds du musical et consacre une analyse en réinvestissant un regard sur la structure même de la comédie musicale et des numéros pour tenter de saisir plusieurs caractéristiques structurelles se fondant sur la notion de dualité : « L’attention critique accordée aux fins des comédies musicales n’est pas la seule raison du désintérêt constant pour les scènes d’ouverture. La tendance d’études récentes à appliquer à ce genre des techniques d’analyse synchronique inspirées de la sémiotique en est un autre facteur significatif ».

 

L’on retrouve également dans l’ouvrage collectif la contribution de Beth Genné, de N.T. Binh et José Moure qui consacrent quelques réflexions sur Vincente Minnelli, le réalisateur d’American in Paris produit par la MGM. La contribution de N.T. Binh et José Moure aborde l’art de la transition chez Vincente Minnelli et développe une étude approfondie des glissements récurrents et significatifs du chant au musical ou du chant aux pas rythmés : « Ces transitions se manifestent à tous les points de jonction et de fusion que met en jeu le film musical, là où se rencontrent le narratif et le spectaculaire, la réalité et le rêve, la conversation et le chant, la marche et la danse. Elles affectent l’articulation aussi bien entre les sons et les images qu’entre leur niveau diégétique, quand par exemple une musique orchestrale extradiégétique (ou musique de fosse) se met à accompagner un pas de danse où les premières notes d’un chant. Elles prennent la forme d’enchaînements aussi bien filmiques que scéniques, dans la continuité du plan et de l’espace, quand la parole devient chant et la marche, un mouvement rythmé qui conduit à la danse ». Ces différents glissements se retrouvent dans Un américain à Paris dans lequel un petit groupe de personnages se trouve autour du piano lors d’un « numéro » à trois. Dans la séquence suivante, Gene Kelly prend la place du spectateur et s’installe ensuite dans le plan donnant forme au côté entraînant du rythme, des corps qui sont entraînés dans la danse. N.T. Binh et José Moure disent : «  Le problème de la transition et notamment de l’intégration de la danse dans la narration est au cœur de l’art de Minelli, un art qui, d’un musical à l’autre, n’a cessé de questionner la ligne de partage entre la non-danse et la danse, entre le pas continu de la marche dont le but est d’aller et le pas rythmé de la danse dont l’objet est de «  transporter d’ici là ». Ces réflexions sur l’écart, sur « l’entre », ces réflexions sur les transitions permettent de penser le musical comme un genre cinématographique réflexif entre la remise en question d’Hollywood et la célébration du spectacle, en d’autres termes, elles démystifient.

 

D’autres chapitres viennent complexifier les approches du musical notamment autour de l’influence et de la continuité du musical classique sur les séries musicales contemporaines où la question des mythes et des identités prend une place essentielle et transgressive. Tel est le cas notamment de Glee qui réifie les enjeux de luttes des minorités. Dans sa contribution intitulé « L’empreinte du musical classique sur les séries musicales contemporaines », Fanny Beuré s’intéresse plus particulièrement aux séries contemporaines où la musique et la place accordée à la danse ont un rôle primordial : «  Au-delà de la simple citation, ces séries s’inscrivent bien sûr dans l’héritage du musical classique en reprenant ses conventions génériques. Mais plus encore, en renversant la perspective on peut avancer que plusieurs éléments structurants du genre sont particulièrement adaptés à la mise en série, notamment parce qu’ils se marient aux deux propriétés que JP Esquenazi estime spécifique à la forme sérielle : la profusion fictionnelle et la description intimiste ». Dans un autre chapitre, Charlotte Aumont approfondie les rapports entre la comédie et le musical dans la pratique du remake et s’intéresse à la transformation de l’un à l’autre qui implique le passage d’un genre à l’autre dans lequel les évolutions technologiques à Hollywood est : « constitutive de son esthétique ».

 

Finalement, le livre dirigé par N.T. Binh et José Moure arpente en profondeur la polysémie du mot musical et offre au lecteur une véritable balade tant historique que sémiotique en tentant de répondre aux questions telles que l’origine de ce genre cinématographique, ses relations intermédiales, sa portée politique et démystifiante, et ses continuités. Cette question de polysémie, immédiatement identifiée et énoncée comme telle dans l’introduction de N.T. Binh se poursuit au pied levé d’abord dans le premier chapitre (Fondations) qui aborde les origines scéniques et théâtrales mais aussi esthétiques de la comédie musicale. La deuxième partie (Figures et Œuvres) quant à elle, nous emmène véritablement sur les traces et les analyses de certaines œuvres augmentées d’illustrations en noir et blanc (l’on retrouve entre autre Fred Astaire, Rouben Mamoulian, Kelly, Minelli, Sinatra, …). Enfin, la dernière partie qui compose l’ouvrage collectif (Enjeux et continuité) s’interroge sur le croisement, la rencontre, entre la comédie musicale d’hier et d’aujourd’hui, sur ses possibles  développements techniques, mais aussi les reprises et remakes dans les séries contemporaines. Cette précieuse ouverture des recherches sur le musical provoque dès lors un renouvellement et trouve sa force et sa cohérence dans sa dimension intermédiale et intertextuelle tout en s’adossant sur des principes théoriques bien ancrés. Tel est le cas notamment des interventions de Rick Altman et d’Alain Masson qui amènent une dimension historique importante. Dans l’ensemble, le vivre endosse une grande cohérence entre les différentes contributions et parvient à articuler avec ténacité l’analyse filmique et le théorique.