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Le nouveau cinéma belge (Positif)

Publié le 05/03/2009 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication

« Comme naguère l'émergence d'un nouveau cinéma iranien, argentin, taiwanais ou roumain a sollicité notre intérêt, il nous a paru importun, alors que sortent presque simultanément Elève libre et Louise Michel, de donner un nouveau coup de projecteur sur les nouveaux films wallons ». Ainsi s'ouvre le dossier – dirigé par Michel Ciment (directeur de la publication) et dédié à Noël Godin – du numéro de février 2009 (n°576) que Positif consacre au nouveau cinéma belge.

Le nouveau cinéma belge (Positif)

Un


Dans Les nouvelles saisons du cinéma belge, Vincent Thabourey nous présente ces nouveaux cinéastes belges possédant un univers qui leur est propre, créant un monde qui leur appartient.Que ce soit pour Rumba (Dominique Abel et Fiona Gordon), Eldorado (Bouli Lanners), Elève libre (Joachim Lafosse), Le Silence de Lorna (Luc et Jean-Pierre Dardenne), Home (Ursula Meier) découverts au récent festival du film à Cannes ou les œuvres d'Olivier Smolders, Martine Doyen, le couple Sophie Bruneau/Antoine Roudil, Bénédicte Liénard, Stéphane Vuillet.

Le cinéma de la Communauté française (qui n'existerait pas sans le travail de fourmi qu’Henry Ingberg a mené depuis la création du Centre du cinéma - ce dont personne ne semble se rendre compte dans les excellents articles de ce dossier)- le cinéma de la Communauté française Wallonie-Bruxelles donc, est le ciment de l'homogénéité des parties d'un édifice d'une vaste profusion cinématographique. À cela s'ajoute l'instauration de nouveaux modèles économiques, d'un système d'aide régionale, Wallimage (imprimant à Cannes sur ses tee-shirts : Wallonia yes we Cannes) ainsi qu'une aide financière par un système de défiscalisation destiné aux investissements privés, le Tax Shelter. Ces trois axes suscitent un renouveau de notre cinéma et lui offrent un corps en état de marche. Un autre corps, en somme, permettant à ce jeune cinéma de découvrir, avec inventivité, des territoires traversés – tours et détours – d'incursions passionnantes. Mais d'autres corps, aussi, incarnés par des comédiens surgissant brusquement dans le monde du cinéma comme Jérémie Renier, Olivier Gourmet, Emilie Duquenne. « Benoît Poelvoorde, souligne Thabourey, a contribué à cette incarnation particulièrement tonique qu'il a poussée jusque dans son expression la plus névrotique, offrant de belles envolées délirantes à nombre de comédies françaises. L'un des impacts de ce cinéma explorant l'étendue d'un territoire – petit mais qui semble vaste – est que cette quasi-virginité territoriale, poursuit Thabourey, permet alors de faire émerger des personnages décalés dont les comportements évitent toujours la norme et les conventions sociales. C'est un cinéma qui, au final, se joue souvent des villes et de ses représentations pour investir des lieux plus ouverts, moins marqués cinématographiquement, et dans lesquels ces auteurs peuvent laisser filer avec enthousiasme leur inventivité débridée ».

Deux


Frédéric Sojcher, réalisateur de Cinéastes à tout prix nous parle de la beauté de l'artisanat belge et établit le générique d'un cinéma démarrant depuis plusieurs décennies avec André Delvaux, Chantal Akerman et Jean-Jacques Andrien suivi de Toto le héros de Jaco Van Dormael (Caméra d'or au festival de Cannes en 1991) et C'est arrivé près de chez vous (sélectionné à la semaine de la critique en 1992). Ces films ont un point commun : l'avance sur recettes de la Communauté française Wallonie-Bruxelles qui dispose de faibles moyens, et « parfois, souligne Sojcher, avec une aide après réalisation, pour finaliser le montage et faire un kinescopage ».

« Le cinéma belge est un cinéma d'artisans, chaque réalisateur a un univers singulier, le cinéma est toujours à réinventer ». Dieu merci. Pour nous, à Cinergie.be, nous pensons que le cinéma belge et le cinéma roumain sont les seuls à surnager à la soumission du cinéma européen, aux seules lois du marché qui font des spectateurs des consommateurs de produits visuels. Nous essayons d'être un lien entre l'âge d'or du cinéma européen des années soixante et maintenant car « l'écueil de Wallimage et du Tax Shelter, comme le souligne Frédéric Sojcher, aurait pu être qu'il s'agit de financement à « objectif économique » et que, dès lors, un déséquilibre naisse avec les objectifs artistiques et culturels des commissions du film. Le risque aurait été de perdre l'artisanat et de privilégier des productions plus formatées. Il n'en a rien été. D'une part, la personnalité du directeur de Wallimage, Philippe Reynaert (ancien rédacteur en chef de la défunte revue de cinéma Visions) « y est pour quelque chose », d'autre part et surtout, nous devons parler de la formation de nos écoles de cinéma (INSAS et IAD) qui n'enseignent pas qu'une esthétique, mais aussi l'art de la débrouille. Sans parler du fait que le cinéma belge échappe à l'emprise de grands groupes audiovisuels (qui ont fait sombrer le cinéma italien et, en partie français).

Grâce à des Ateliers de cinéma comme le CBA, le WIP et Dérives, les documentaristes utilisent les possibilités qu'offrent, en ce moment, le numérique, la DV-cam (basse définition) et la HD-Cam (haute définition). Cela s'élargit à la fiction, mais le cinéma de fiction documentaire s'approprie la fiction et vice-versa. Bien sûr, Jean-Luc Godard disait déjà cela, il y a cinquante ans, à une époque où seule la pellicule existait. Si la liaison doc-fiction est devenue une évidence, pour beaucoup de réalisateurs, c'est sans doute que, face au flux informatique des images, le cinéma reste un moyen d'expression permettant la réflexion ainsi que le point de vue. Pour cela, le doc de fiction est parfait. Par ailleurs, la technologie numérique a permis au cinéma asiatique (de Chine, de Singapour, de Thaïlande, etc.) de réaliser des films à petits budgets qui parcourent le monde. Souvent la nuit, lorsqu'elle nous appartient, nous faisons un rêve : et si Yu Likwai, le producteur et directeur photo de Jia Zhang-Ke qui a fait ses études à l'INSAS (4 ans à Bruxelles) avait exporté le système belge de la débrouille en Chine ? Et si ce n'était pas un rêve ? Et si le cinéma belge était en Chine ? En tout cas, l'utilisation du numérique suit son cours. Concrètement, dans notre pays, l'Association des réalisateurs francophones a créé, « Cinéastes associés », grâce au soutien de la Ministre de la Culture et de l'Audiovisuel, Fadila Lanaan. Il s'agit d'une « structure qui vise à permettre chaque année à deux longs métrages d'exister, avec un budget maximum de 280.000 euros, tout en rémunérant chaque membre de l'équipe ». Deux films de l'année sont actuellement terminés : Get Born de Nicole Palo et Menteur de Tom Geens.

Trois


Le dossier se poursuit avec une analyse d'Elève libre de Joachim Lafosse, le double jeu de la perversion libertine dans une partie d'échecs en simultané qu'affronte avec brio Jonas. Vincent Thabourey nous offre une belle analyse en précisant que le réalisateur « se focalise sur un des derniers tabous officiels de notre société, la pédophilie. Le film outrepasse cette question pour aborder plus globalement celle de l'apprentissage dans nos sociétés modernes et la marche forcée, accélérée, vers l'âge adulte ». De même, Joachim Lafosse s'engage dans « une nouvelle voie de mise en scène. Aux confins de l'effroi, c'est un cinéma inattendu, très direct, qui se débarrasse de toute psychologie, au profit d'une approche presque entomologique mais qui pourtant ne renonce jamais à nous raconter des fables ».

Dans le long entretien d'Elise Domenach avec le réalisateur, nous apprécions la finale des propos de Joachim Lafosse : « comme eux (les frères Dardenne), je dirais que je ne suis pas un cinéaste belge, mais un cinéaste de mon quartier. De Bruxelles, du quartier de la place Sainte-Catherine. Ils ont une éthique de cinéaste qui me plaît. Les questions que pose Luc Dardenne dans Au dos de nos images (Seuil, 2005) me semblent justes. Si tu rencontres Dieu, casse-toi en courant ! C'est l'histoire de Jonas qui rencontre Dieu, et ça devient très dangereux. »

Enfin, un entretien avec le duo Delépine/Kervern pour leur troisième film tonitruant : Louise Michel dans lequel se déploient Yolande Moreau et Bouli Lanners, himself.

Bonus.


Le DVD Cinéastes à tout prix (coffret de deux disques), de Frédéric Sojcher, édité par Imagine et qui vient de recevoir le premier prix du DVD accordé par le Syndicat français de la critique de cinéma.

Le livre du même Frédéric Sojcher : Jean-Jacques Rousseau, cinéaste de l'absurde, aux éditions Archimbaud Klincksieck.

 

Dossier : Le Nouveau cinéma belge, Positif n° 576, février 2009