Cinergie.be

Le Pantalon d'Yves Boisset

Publié le 01/01/1997 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Moteur ! Tourne ! Sept sur un, première ! "... Clac ! et le clapman s'éclipse. " Action! " Blimpé, le moteur de l'Arriflex tourne silencieusement. Le perchman tend son micro. " Qu'est-ce qu'on a comme artillerie? " Le général se tourne vers une carte d'état-major. " La neuvième, mon général ", rétorque le colonel, tandis que la caméra recule et fait un mouvement en arc de cercle pour cadrer la table autour de laquelle une demi-douzaine d'officiers écoutent attentivement le général.

Le Pantalon d'Yves Boisset

Nous devons les amener là , dit le général en pointant son doigt à un endroit précis de la carte. - La côte 165? mais elle ne présente aucun intérêt stratégique ", réplique le colonel. - Eh bien, nous allons lui en donner un! - Coupez !, s'exclame Yves Boisset, le réalisateur du Pantalon, un téléfilm tourné en Belgique.

Il demande plusieurs prises de cette scène. Puis, l'on passe du plan d'ensemble en mouvement au plan américain, caméra fixe. Enfin, l'assistant, dont le calme digne de Buster Keaton nous fait penser à une séquence de Seven Chances, annonce dans son talkie walkie qu'on libère le plateau et qu'on casse le décor. Aussitôt, le silence est déchiré par un brouhaha indescriptible. Boisset disparaît pour examiner les planches-contacts du photographe de plateau. Les machinos installent les nouveaux éléments du décor, les techniciens boivent du café à la régie (nous aussi) et les acteurs se plongent dans leur script.
Nous sommes dans l'une des salles de réception du Palais du Brabant, rue du Lombard à Bruxelles, transformée en bureau d'état-major de l'armée française durant la Guerre de 14-18. Le film raconte l'histoire vraie de Lucien Bersot, " un jeune soldat qui sera fusillé en février 1915, après une parodie de justice, pour avoir refusé de mettre un pantalon d'uniforme souillé de sang récupéré sur un champ de bataille ". Comme le disait très justement Clemenceau, " la guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires ".

La déco a installé un bureau pour que se joue une scène dans laquelle le général consulte des documents.Tout va très vite. " C'est voulu, c'est la méthode de travail de Boisset ", nous dit Jean-Pierre Berckmans, le producteur exécutif du film. " Il ne veut pas que l'équipe se déconcentre, donc il tourne rapidement. Cela crée un sentiment d'urgence et c'est ainsi d'ailleurs qu'on reconnaît les bons acteurs. "


Pendant qu'André Debaar se concentre, assis derrière le bureau, on installe des planches pour ménager le parquet et permettre à la caméra montée sur une dolly de décrire un arc-de-cercle. Les roues glissent sur le sol. La caméra cadre le général, le colonel entre et le rejoint, on les suit tandis qu'ils traversent la pièce et se dirigent vers le bar où le général se verse un verre de liqueur. La mise en scène de ce téléfilm se veut très mobile.

Il y a beaucoup d'action. On ne verra pas beaucoup de gros plans car on compte pas mal de figurants ", nous raconte Yves Boisset, l'oeil vif, en ajustant le noeud d'une longue écharpe blanche.

De plus, il y a peu de plans fixes, ce qui est davantage le propre du cinéma que de la télévision. D'ailleurs, les trois quarts des films français ressemblent à des téléfilms. La dualité entre cinéma et télévision est très théorique. Les seules différences concrètes sont d'ordre budgétaire ainsi que la durée du tournage qui est bien moins élevée pour un téléfilm ( 26 jours au lieu de six à sept semaines).
Le film est tourné en super-16 et pourrait donc être gonflé en 35mm et sortir en salles.Ce qui se ferait si nous étions en Angleterre avec le système de Channel Four qui essaie ses films en salle avant de les diffuser à la télé. C'est épatant mais en France, la loi interdit à un film dont les capitaux des chaînes télé sont majoritaires d'être distribué en salle. C'est dommage. "

Une histoire circule: après le tournage de L'Affaire Dreyfus, une projection a été organisée à l'Hôtel de ville de Paris, en présence de l'État-major des forces armées françaises. Celui-ci, à l'issue de la séance, a reconnu qu'il y avait eu bel et bien un complot militaire et que Dreyfus était innocent. Cela semblait évident pour tout le monde sauf pour l'armée française qui a nié la vérité pendant un siècle!

Boisset confirme l'info. " Oui, le cinéma sert parfois à quelque chose ", conclut-il en souriant.

Tout à propos de: