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Sur le tournage de Salle des profs

Publié le 11/05/2023 par David Hainaut et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Tournage

L'école est à eux

Pendant que les instances du cinéma belge francophone incitent - comme jamais – le secteur à s'orienter aussi vers la comédie, la RTBF, tout aussi soucieuse de tendre vers plus de légèreté, n'est pas en reste. La chaîne publique vient ainsi de mettre en boîte cinquante épisodes de trois minutes d'une nouvelle mini-série, Salle des Profs, qui verra le jour en septembre, juste avant le 19h30 de la RTBF.

Comme l'indique son titre, ce programme court met en scène des enseignant.e.s, interprété.e.s par un casting assez singulier : Jean-Luc Couchard et Renaud Rutten croiseront Marie Kremer, Baptiste Lalieu (alias le chanteur Saule) et Melissa Diarra, découverte de la série Pandore. Une création émanant d'un duo, formé par Christophe Bourdon et Pierre-Yves Wathour, qui co-réalisent.

Paradoxe. Au pays de l'autodérision et du surréalisme, on entend toujours dire que les comédies se font trop rares, surtout au sud du pays. À tel point que la plus haute instance de celui-ci, le Centre du Cinéma, s'inscrit – en ce moment même - dans une vaste et inédite remise en question autour du genre, alors que nos chaînes de télévision (la RTBF surtout, pour l'instant), profitant de processus de création plus rapides, suscitent auteur.e.s et cinéastes via de plus en plus d'appels à projets. C'est d'ailleurs en répondant à l'un d'entre eux, en septembre 2021, que deux des auteurs du Grand Cactus (l'émission d'humour-phare de la maison) Christophe Bourdon et Pierre-Yves Wathour ont eu l'idée de cette Salle des profs.  

Dans l'arrière-cour des professeur.e.s

Un projet atypique et commun qu'ils nous ont détaillé, au dix-septième des vingt jours que comptait ce tournage : "Il y avait des règles fixes, avec un lieu et un nombre limité de personnages", rappelle Bourdon. "Mais on ignorait à l'époque si ça allait être diffusé sur La Une ou sur Tipik. Pierre-Yves étant aussi prof, on avait songé à une salle de classe avec des parents d'élèves. " Wathour poursuit : " C'est moi qui y ai d'abord pensé, car l'arène est intéressante. Mais Christophe m'a fait remarquer qu'on aurait du mal à faire revenir les mêmes personnages. Donc, l'idée d'une salle des profs, plus riche à nos yeux, s'est cristallisée. D'autant qu'on n'en voit pas souvent dans ce format. On a cherché ailleurs, mais on n'a rien trouvé de semblable !" Bourdon le complète alors : "Il y a beaucoup de films sur ce sujet, mais la salle des profs est souvent un lieu tenu secret, à l'arrière. On a alors pensé au modèle bien connu de Caméra Café, avec ce fameux plan fixe. On a vu lors du pilote que ça cadrait bien avec le projet et surtout, que les comédien.ne.s y trouvaient un plaisir à jouer."

Un projet rapidement mis en place

Un appel à projets d'abord, puis une idée : encore fallait-il dénicher une production adéquate pour concrétiser le tout. Ce sont alors les Bruxellois d'Octopds, qui avaient déjà collaboré avec Bourdon sur un projet (hors fiction), qui sont entrés dans la danse. Sur le plateau, Benjamin Honoré représentant cette société gérée par un trio (avec Simon Heymans et Joao Vinhas), se souvient : "Pour ce précédent essai avec Christophe, on s'était déjà bien entendu sur l'approche de production. Mais quand il m'a contacté pour ce projet à la RTBF, il nous restait moins de deux semaines pour le déposer ! On a alors rendu un synopsis court avant le dossier complet, et on a gagné ! C'est drôle de se dire qu'un petit paragraphe envoyé par e-mail va se retrouver en programme court sur le premier canal de la chaîne publique belge, entre la météo et le JT. Ça a même un côté excitant !" Et, on le devine, ça ouvre une nouvelle porte d'entrée pour cette structure, axée jusqu'ici notamment dans les coproductions internationales, le court-métrage et la musique. Ce qu'Honoré précise : "Là, on finit le film Bac + 12 avec la France et Farador avec le Canada, qui est sélectionné au Festival du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF). On prépare aussi deux courts-métrages soutenus par la Fédération Wallonie-Bruxelles, de Jérémy Adonis et de Maxime Pasque, et on tourne toujours des clips, comme ceux de Selah Sue ou du groupe Ajira. On reste une jeune production. Le cinéma est un peu un laboratoire pour nous, et on aime travailler avec des jeunes talents. Avec peut-être moins d'enjeux et moins de stress. Car vu la qualité qu'on vise, on veut garder un côté récréatif." Particulièrement impliqué ici, Honoré a, en amont, conçu avec l'équipe de décoration la création du plateau en 3D. "Vu le peu de temps dont on bénéficiait, c'était important pour prévoir tous les emplacements de caméras et de lumière. Histoire d'être à l'aise au moment de tourner." 

Avec un parfum de BD

"Jeunes", nos deux instigateurs quadragénaires - Wathour affiche 40 ans, Bourdon 49 – le restent au moins dans leur esprit, étant donné la nature du projet. Bourdon ajoute : "Toutes proportions gardées, pendant l'année presque et demie où on a écrit, notre référence a été Franquin. Sans bien sûr nous comparer à lui, on se demandait s'il aurait écrit la même chose pour Gaston. Il doit y avoir de l'inconscient dans tout ça, car même la couleur jaune du décor et d'autres éléments rappellent l'esprit de cette BD. Et rien n'était calculé." Un travail d'écriture dense, sur lequel ils reviennent. Wathour : "Un tas de décisions de réalisation se prenant déjà à l'écriture, on y a tout mis. Même ce que les personnages allaient faire exactement au tournage." Bourdon : "Si on n'a pas de scénario solide, on peut vite perdre du temps sur le tournage, où il faut être très attentif au minutage imposé. Et en ayant une bonne base sur papier, les comédiens peuvent mieux amener leurs idées. Sans qu'ils s'épuisent, car on tourne deux épisodes et demi par jour. La plupart du temps, on les laisse faire, puis on ajuste."

L'histoire de Salle des profs suit principalement Clément (Jean-Luc Couchard), un directeur d'école dépassé, Jurdieu (Renaud Rutten), un prof faisant ce qu'il peut, Samia (Mélissa Diarra), une rebelle, Simon (Baptiste Lalieu), le "sympa" par excellence, et Vanille (Marie Kremer), une artiste barrée. Outre ce quintette, les épisodes feront défiler de nombreux acteurs et actrices aux profils bien différents : de Bernard Yerlès (s'auto parodiant dans un rôle de policier) à Léone François (en conseillère pédagogique), en passant par Stéphanie Van Vyve (en maman d'élève), Vincent Lecuyer (en stagiaire), Koen Van Impe (le "Flamand" de service), François Neycken (en réparateur de machines à café) ou Guy Lecluyse, (le ..."Français" de service). "On est ravi de ce casting", indique Wathour. "Et les acteurs récurrents connaissent autant - si pas plus - que nous leurs personnages ! Donc, ce qu'ils proposent est toujours juste."

L'hommage au métier d'enseignant.e

Mais derrière l'aspect burlesque assumé d'un projet qui se verra faire rouler une photocopieuse ou passer un... poney, les auteurs tiennent à rendre hommage à une corporation. Bourdon dit ainsi : "Je pense qu'on exprime des choses. Car avec un personnage de maman d'élève insupportable, qui pense que l'école doit s'adapter à elle et pas l'inverse, ou un autre abordant le pacte d'excellence, on fait quand même passer un message. On rit avec eux, mais jamais d'eux, pas mal étant en ce moment en souffrance. Ce sont des gens intelligents et sensibles. On met en valeur la fonction de prof." Quant à Wathour, lui-même enseignant donc : "Dans cette société, je sens un déchargement de pas mal de gens sur ce métier, accablé et pointé du doigt. Or, ce sont des êtres humains comme tout le monde. Mais bon, on envisage bien de rire ici, il n'y a pas d'épisodes émotifs". "Ah, si!", le rectifie alors Bourdon, "Il y a quand même un peu d'émotion. On voit qu'ils s'aiment...". "Oui", lui répond Wathour, "Mais rien de dramatique ni de moralisateur. Et on est très Belges aussi dans le ton, vu qu'on parle de commande de frites, de visite du Roi, etc. Il y a tout un décorum bien de chez nous."

Si tous deux ont déjà signé des courts-métrages de comédie (Fantasies and Manuals pour Wathour en 2010, Le Zombie au vélo en 2015 pour Bourdon) et que le premier envisage d'autres réalisations, le deuxième a aussi tâté de la caméra pour d'autres petits films, notamment dans le cadre des Magritte et des Molière. Tandis que, toujours pour Bourdon, un projet de court et l'écriture d'un long-métrage viennent tout juste de lui être accordés par la Commission du Centre du Cinéma. Affaires à suivre, donc...

Une (large) visibilité déjà garantie

Mis en boîte sur un peu plus d'un mois dans un studio de Woluwé-Saint-Lambert, la cinquantaine d'épisodes de Salle des Profs sera donc visible dès la rentrée, du lundi au vendredi, en amont du Journal de la RTBF. Soit à un horaire où l'audience approche parfois le demi-million de spectateur.ice.s, rien qu'en télé. "On a beaucoup de chance d'avoir cet horaire-là", confirme Bourdon. "Car on est déjà sûrs que beaucoup de gens le verront. Bon, on a conscience que l'humour peut être clivant, mais on reste avant tout dans un programme familial, pouvant réunir enfants et parents. Et avec pas mal de gags visuels, un peu façon Claude Zidi, dont je suis fan."

Wathour renchérit : "On est tous les deux fans de comédies, avec une production qui nous a laissé le champ libre, voire même nous a poussé à faire pire, le producteur se retrouvant lui-même dans une canette géante dans un épisode, par exemple."

Ayant repris tout son sérieux lors de son entretien, Honoré conclut en ces mots : "Le bilan du tournage est vraiment très positif. Ce n'était pas l'usine, ce à quoi on tenait. L'équipe était heureuse d'être là, l'ambiance était bonne, des verres étaient souvent organisés en fin de journée et on a même pris de l'avance au montage. Ce qui pourrait nous arranger si par bonheur, il y avait une saison 2. En tout cas, de mon point de vue de Français, bien que Lillois, donc proche de la façon de vivre et de partager la philosophie et la drôlerie de chez vous, ce sera un projet belge très identifiable, proche de formats célèbres en France, comme Un gars une Fille, Nos Chers Voisins ou Caméra Café. On a envie de démontrer qu'avec les comédiens et les talents qu'il y a dans ce pays, on peut faire de bons programmes courts comme en fait, partout ailleurs ! Tout en faisant transpirer cette belgitude dans l'humour, l'image et le jeu."

Une phrase à peine terminée qu'un certain...Renaud Rutten, se mêlant alors à l'entrevue pour nous interrompre (fidèle à lui-même), dit, en désignant Honoré : "Ce producteur, et c'est très rare, il est sympa et pas prétentieux. Même si bon, il n'a pas trop cassé sa tirelire pour nous avoir, hein... Donc oui, on est surtout là pour la visibilité. On espère que les gens verront ça, hein...". Le pays de l'autodérision et du surréalisme, disions-nous...

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