Le piratage va-t-il enterrer le cinéma ?
C’est la question que se pose, face aux nouvelles technologies, les participants à une conférence sur le piratage audiovisuel organisée dans le cadre de la présidence française de l’Observatoire Européen de l’Audiovisuel qui s’est tenue à Paris le 18 juin 2004. « Au-delà de la menace qu’il fait peser sur les industries de l’audiovisuel, le piratage met en péril les conditions même de rémunération des artistes et des créateurs. Le phénomène ne s’arrête pas aux frontières nationales : il est européen, voire même global.» écrivent Didier Le Bret et Wolfgang Closs dans la présentation des actes de cette conférence.Ainsi que le signale Randal C. Picker, « Poursuivre le consommateur constitue une perte de temps ; c’est comme adopter une solution de la taille d’une petite cuillère pour résoudre un problème d’une profondeur océanique ».
En effet. D’où, le fait que les tribunaux s’en prennent davantage aux fournisseurs de services orchestrant le « pair » à « pair» (peer to peer) se partageant les fichiers puisque ceux-ci sont reliés par un logiciel commun qui permet, voire développe, l’échange. En principe l’accès aux fichiers numériques est contrôlé par le système CSS (Content Scrambing System – Système de cryptage du contenu). Las ! Jon Johansen, un ado particulièrement doué, a « craké » le système CSS en contournant la protection d’un lecteur DVD. Dés lors, les utilisateurs du logiciel DeCSS, mis au point par notre teen-ager, peuvent copier des DVD dans un format numérique. Ceux-ci pouvant être relayés sur Internet comme n’importe quel autre fichier numérique. Les tribunaux sont perplexes. Car si l’usage de la copie privée est autorisé il n’en va pas de même en ce qui concerne la copie publique. Et comme le système CSS ne fait pas de distinction entre copie privée et copie publique… En Europe, la Directive européenne sur le droit d’auteur interdit toute action (fabrication et distribution ) susceptible d’être employée pour contourner les protections technologiques des droits d’auteurs tout en autorisant la copie publique.
André Lange, nous montre tableau statistique à l’appui, les ravages du piratage et les pertes commerciales estimées en 2003. Ahurissant. La Fédération de Russie se taille la part du lion avec 75% de films piratés et 80% d’oeuvres musicales sur l'ensemble des DVD en circulation sur le marché russe. En Europe, si la Lettonie la dépasse (85%-80%), l ’Italie 20%-25% est dans le peloton qui, de la Belgique à L’Espagne en passant par le Portugal et la Hongrie, ont un taux relativement moyen de piratage. Très étonnant, le grand pays cinéphile qu’est la France est avec la Suisse à moins de 10%. Une amie de Cineuropa.org à qui nous en parlions nous a rétorqué : « pourquoi veux-tu que les français s’ennuient à copier les DVD alors que tu les trouve sur Internet à 1 ou 2€ »
En effet et en toute légalité. Nous avons vérifié nos sources et découvert, avec une certaine stupéfaction, que certains labels déclinent leurs produits selon qu’ils les offrent via Internet ou à un détaillant dans un point de vente ! Affaire de circuits ou de réseaux ! André Lange ajoute, le problème que constitue le peer-to-peer s’inscrit dans le cadre d’une évolution générale des industries culturelles. Celle-ci se caractérisant par une réduction des coûts de conception et de réalisation, « l’édition étant recentrée autour de l’idée que la distribution physique va devenir obsolète, va être remplacée par la distribution en ligne de fichiers ». Le professeur Lawrence Lessing, de manière radicale, (c’est le moins que l’on puisse dire) dans une étude qui a fait grand bruit outre-atlantique, explique que les industries sont faites pour les consommateurs et non l’inverse. On voudrait instaurer une tyrannie du formatage qu’on ne parlerait pas autrement!
Pascal Rogard, directeur général de la société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), nous rappelle que la piraterie est celle des riches. De ceux qui sont équipés en ADSL (haut débit). La source principale de piraterie dans le monde est celle des supports classiques (K7, V-CD) qui est réprimée par la police puisque étant une piraterie liée aux mafias locales. En ce qui concerne le citoyen ordinaire, le problème est d’autant plus délicat qu’il s’agit d’électeurs. Comment faire comprendre, sinon de manière pédagogique, que ces pratiques ont des conséquences sur le revenu des auteurs mais aussi sur la diversité de la création. Pascal Rogard propose donc qu’on s’intéresse aux fournisseurs d’accès et à ceux qui pratiquent le téléchargement illicite tout en faisant des actes de commerce illicite. Il faut faire en sorte, poursuit Monsieur Rogard, « qu’Internet ne soit pas un ennemi mais au contraire un outil de développement au service de la création. Et cela passe par la mise en place d’offres sécurisées et payantes qui constituent une alternative crédible à la piraterie ».
Tout en faisant attention à ce que les producteurs indépendants y trouvent leur place.
« Il ne faut pas que les systèmes de téléchargement payants accentuent la concentration. Ils doivent favoriser la diversité ».
Enfin, Jukka Liedes, Directeur de la division de la politique culturelle et des médias au Ministère de la culture et de l’éducation de la Finlande, conclut, en remarquant que les pirates ont besoin de peu d’investissements, « Leur marché est mondial. Le piratage a atteint des niveaux de profits imprévus. Aucun marketing n’est nécessaire, ce sont les autres qui s’en chargent. Le risque d’être pris est limité et les sanctions, dans bien des pays, ne sont aucunement dissuasives. Qu’il s’agisse des transporteurs de biens ou d’informations (les compagnies des télécommunications), tous offrent leurs services aux pirates avec la meilleure volonté du monde. » Et de conclure : « Jusqu'à présent les gouvernements se sont attachés à légiférer et à établir des mécanismes d’application des lois de manière traditionnelle, dans le contexte établi du monde analogique. La nouveauté, dans l’environnement numérique et à l’ère de l’Internet à large bande, c’est l’obligation de rapidité. Les autorités devraient être prêtes et disposées à prendre des actions rapides, sinon les dommages atteindront rapidement des proportions gigantesques. ». En effet. un document indispensable pour tous ceux qui s’interrogent sur l’impact des nouvelles technologies et du contenu culturel qu’elles offrent.
Nouvelles Technologies et piratage : les industries audiovisuelles en question. Publié par l’Observatoire de l’audiovisuel en collaboration avec la Direction du Ministère des affaires étrangères de la République Française, de la D.g.C.i.D et du Conseil de l’Europe 76, Allée de la Robertsau, F-67000 Strasbourg, France. Tél 33.0.3.88.14.44.00. Mail : obs@obs.coe.int. Site : http://www.obs.coe.int/