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Le Quatrième mur, David Oelhoffen, 2025

Publié le 08/01/2025 par Basile Pernet / Catégorie: Critique

Au crépuscule de sa vie, un metteur en scène confie à son ami Georges (incarné par Laurent Lafitte) la mission de monter Antigone, de Jean Anouilh, à Beyrouth, en constituant une troupe qui réunirait les différentes communautés religieuses et politiques. Nous sommes en 1982 et le Liban connaît une période de tensions sans précédent, marquée par des séries de meurtres quotidiens. Soucieux de se montrer loyal envers son ami et mentor, puis progressivement séduit par l’idée de “bousculer les choses” (sans vraiment savoir lesquelles) au moyen de l’art, Georges accepte le défi et embarque pour le Liban, où il se retrouve lui-même secoué par une réalité tout autre que celle qu’il avait imaginée.

Le Quatrième mur, David Oelhoffen, 2025

Adapté du roman éponyme de Sorj Chalandon, ce cinquième long-métrage de David Oelhoffen a été en grande partie tourné au Liban, de part et d’autre de la ligne de démarcation qui s’étend du nord au sud de Beyrouth. Le réalisateur ne se donne pas l’objectif de chercher des explications et d’apporter des éléments de réponse sur le contexte politique et militaire qui a décimé la population libanaise au début des années 1980. Le conflit demeure opaque et indéchiffrable du point de vue de Georges, qui tente de devenir un point de convergence entre différentes confessions religieuses et lignes politiques. Par leur investissement et leur confiance en lui (d’abord en tant que metteur en scène, puis en tant qu’individu), les comédien·nes procèdent à une mise à distance des clivages qui opposent les communautés dont ils sont les représentant·es symboliques. Le tout étant de parvenir à une restructuration des idées, des valeurs, des représentations.

Le récit est par ailleurs construit autour du postulat selon lequel l’art, au-delà même de son pouvoir fédérateur, pourrait “sauver” le monde de la guerre ou du malheur en général, notamment par un renversement des mentalités et des valeurs. Dans le cadre du théâtre, le processus de représentation implique une transfiguration du réel qui serait bénéfique à ce type de changement fondamental. Un discours idéaliste qui s’appuie sur la nécessité de créer des utopies, notamment pour apaiser les âmes désespérées.

Dans cette perspective, Georges fait rapidement face à la confusion entre réalités en illusion, un écueil presque constitutif de l’art et du théâtre à plus forte raison. L’identité du comédien se transpose parfois à celle du personnage par une inclination insouciante au fantasme ; c’est notamment le cas avec Imane dans le rôle d’Antigone (interprétée par Manal Issa) qui partage une relation peu assumée avec Georges. Toutefois, au-dehors de la salle de répétition, la ville s’embrase et une distinction plus nette se dresse entre la réalité racontée et la réalité vécue. Sur le plan dramatique, Georges apparaît dès lors plus déplacé que jamais, dans ce territoire dont il ne connaît finalement rien. Il est une trop grossière anomalie occidentale pour être crédible, se complaisant indirectement dans une posture héroïque. Hanté par un principe de loyauté – envers son mentor, puis envers Imane, et de façon plus symbolique à l’égard de valeurs morales et idéologiques – Georges se perd dans ses décisions. Il se perd également dans cette posture de guide qui tente de réunifier au moyen de l’art, et de prouver que la guerre n’est pas une fin, qu’il existe des alternatives, d’autres schémas de vie en société et de cohésion culturelle.

À partir d’une mise en abyme de la tragédie et du théâtre à travers le cinéma, l’adaptation du Quatrième mur construit tout un fil narratif basé sur l’implicite et l’allégorique. Quelques déficiences en matière de mise en scène et d’interprétation ont parfois tendance à stéréotyper l’intrigue et sa portée symbolique. Mais le rythme et la construction du récit à travers des scènes de dissolutions, puis d’unions, parviennent à implanter cette crainte anxiogène de l’instabilité constante.

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