Dans Le Souffle court, un collectif de cinéastes mène de longs entretiens sur Skype, pendant la pandémie de Covid, avec huit soignant·e·s de première ligne.
Le Souffle court, film collectif
Au début du documentaire, malgré l’appréhension grandissante des soignants, l’optimisme prévaut dans les hôpitaux. Mais la pression va vite les faire courir dans tous les sens et le surmenage va les guetter au quotidien. Ils broient du noir, la solitude les ronge. Ils gardent la face devant leurs proches quand ils parviennent à ne pas extérioriser leurs émotions négatives à la maison. Le système de soin de santé les met au pied du mur : ils sont contraints de choisir entre leurs propres santé et bien-être et la survie des autres. Ils doivent sacrifier des vies pour en sauver d’autres. Le manque flagrant de place, de matériel et d’effectifs dans les hôpitaux ne leur permet pas d’effectuer correctement leur travail. Ils sont laissés pour compte, soumis au bon vouloir d’un gouvernement grippe-sou, totalement dépassé par les événements, qui met en place un dispositif bancal, inadapté, où les règles changent du jour au lendemain. Le gouvernement a, par exemple, soudainement décrété que le port du masque de protection n’était plus nécessaire, une mesure qui a mis encore plus en danger les soignants.
Ils font figure d’exemples frappants de victimes d’une société qui asservit et bafoue la dignité humaine. Leurs témoignages font état d’une grande frustration ; ils s’indignent de la déshumanisation de leur profession. Ils doivent agir en robots, prodiguer des soins mécaniques. Les relations humaines passent à la trappe et les patients deviennent des unités quantifiables, des chiffres dans une course contre la montre infernale dépourvue de toute empathie. Le personnel hospitalier doit d’ailleurs appliquer des règles auxquelles il n’adhère pas toujours. Une grande partie d’entre eux s’est aussi opposée aux applaudissements de la population en soutien à leur travail acharné, car les conditions précaires régnaient déjà auparavant dans ce milieu, la pandémie l’a juste mis en évidence. Ils font des semaines à rallonge et obtiennent des compensations dérisoires. Les relations au sein du personnel médical en pâtissent également. Ils font parfois preuve d’une agressivité gratuite à cause d’un manque chronique de sommeil.
Le constat s’avère accablant : les travailleurs sont malmenés pour qu’on évite de dépenser l’argent du contribuable, quand bien même le personnel médical s’est occupé d’une large frange de la population. La détresse psychologique et physique de tous les intervenants démontre la profonde injustice et la répartition inéquitable des ressources étatiques. Si, même en temps de crise, aucune réelle solidarité ne peut se développer, comment pourrait-on ne serait-ce que l’espérer en temps normal ? Les soignants concluent le documentaire en soulignant les leçons de vie apprises grâce à ou à cause de cette douloureuse expérience. Ils en ressortent grandis, plus aguerris. Ils sont plus enclins à faire preuve d’une compassion et d’un engagement sans borne envers leurs patients, à condition de ne pas mettre en péril leur propre santé mentale. Le documentaire pousse le spectateur à non seulement tirer son chapeau aux soignants, mais aussi à repenser la structure de notre société, incapable de gérer une crise en respectant et en mettant à l’honneur l’humain et la population dans son ensemble.