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Le Successeur de Xavier Legrand

Publié le 19/02/2024 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La gloire de mon père

Ellias Barnès (Marc-André Grondin) vient d'être nommé directeur artistique d'une grande maison de couture à Paris, mais des maux de cœur le font se questionner sur ses antécédents médicaux. Lorsque son père – avec lequel il avait coupé les ponts depuis des années – meurt d’un accident cardiovasculaire et qu’Ellias doit tout quitter pour s’occuper des funérailles à Montréal, il se retrouve coincé en banlieue dans la maison où il a grandi. Alors qu’il vide les lieux, Ellias remarque une porte close, dont il n’a pas la clé. Il va bientôt découvrir qu'il a hérité de quelque chose de bien pire que le cœur fragile de son père...

Le Successeur de Xavier Legrand

Un défilé de mode sur le motif (récurrent) de la spirale, une réunion marketing, la main d’Ellias qui palpe sa poitrine, une visite chez le médecin : en moins de dix minutes, Xavier Legrand (qui signe son deuxième film après le brillant Jusqu’à la garde) crée une ambiance oppressante qui ne nous quittera plus durant 1h51, une montée d’adrénaline et un malaise qui culmineront dans la plus éprouvante cérémonie de funérailles jamais vue sur un écran de cinéma. Dès qu’Ellias s’enferme dans la maison paternelle, le récit prend une tournure de thriller horrifique et c’est un engrenage inexorable qui s’enclenche, sur le thème de l’hérédité, de la transmission et du déterminisme.

Si nous ne pouvons pas dévoiler ici la surprise qui attend Ellias au fond d’une petite buanderie bien cachée à la cave, le quadragénaire va être forcé de remettre en cause toute son existence. L’influence d’un père dont il ne connaissait pas le hobby risque de mener cet homme fragile (il est asthmatique et rongé par des crises d’angoisse) à sa perte. Or, ses réactions malheureuses face à sa découverte ne font que l’enfoncer davantage dans une déroute morale inextricable. Confronté aux transgressions de ce père qui était considéré comme un saint par sa communauté, notamment par son meilleur ami (Yves Jacques, très émouvant), Ellias se retrouve maintenant dans la position de lui organiser une cérémonie d’adieu digne de ce nom, au cours de laquelle il faudra bien sûr cacher toute la vérité et sortir un sourire de façade.

Sans faire l’impasse sur l’humour (l’accent québécois d’Ellias, qu’il a mis des années à gommer, ressurgit dès qu’il est stressé, la chanson Fais comme l’Oiseau, de Michel Fugain, est utilisée comme contrepoint sonore burlesque lors d’un moment clé…), Legrand déconstruit la masculinité et critique le patriarcat, mettant sa mise en scène au service d’une tragédie shakespearienne. Tel un Hamlet moderne, Ellias s’enferme dans une prison mentale, incapable d’échapper à l’emprise d’un monstre. Cet héritage qu’il a passé toute sa vie adulte à fuir, mais dont il ne réalisait ni l’ampleur ni la vraie nature, revient lui mordre les fesses. L’absence du fils ayant certainement influencé les actions du père, la culpabilité d’Ellias en est décuplée. Le comble de la tragédie, c’est que sa vie est détruite par un homme qui le tourmente depuis sa tombe, son père n’étant plus qu’une simple photographie souriante, d’une normalité déconcertante, que ses amis applaudissent chaleureusement lors de sa cérémonie d’adieu.

Le ton du film est hybride : le cinéaste joue avec les codes de différents genres tout en les tordant à son gré, on passe de la farce à l’horreur, du polar au drame, sans que ces montagnes russes émotionnelles n’enrayent la machine, d’une précision infernale. Notons que le travail sur le hors champ et la suggestion - aucun événement horrifique ne nous est montré - rend le film encore plus angoissant.

Sur un sujet similaire au récent Bowling Saturne, de Patricia Mazuy, Legrand signe une œuvre aussi déconcertante que cruelle, où les liens du sang provoquent la chute d’un innocent sur une durée de quelques jours à peine. Le cinéaste décrit un anéantissement mental et physique total et réduit son antihéros à une pathétique flaque de larmes, de morve et d’urine (les événements ont sur le corps d’Ellias un effet dévastateur), démontrant brillamment qu’une vie entière peut s’écrouler d’un simple claquement de doigts lorsque le passé a décidé de s’en mêler.

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