Cinergie.be

Le Webdocumentaire Normal réalisé par Dozen

Publié le 03/02/2022 par Malko Douglas Tolley / Catégorie: Critique

Le webdocumentaire Normal est brillamment réalisé par Dozen, le nom du duo formé par Benoît Do Quang (alias asian.rocky) et Pablo Crutzen Diaz. Il aborde des thématiques sociétales souvent ostracisées dans nos sociétés contemporaines en se basant sur les témoignages bruts et émouvants de six jeunes Belges aux prises avec un ou plusieurs troubles mentaux. Ce webdocumentaire de l’intime et porteur d’espoir interpelle positivement durant la quinzaine de minutes de chacun des épisodes.

 

Le Webdocumentaire Normal réalisé par Dozen

Les interviews des jeunes tourmentés par différents troubles mentaux se déroulent presque exclusivement à leur domicile. Ce qui ajoute une dimension intimiste aux témoignages recueillis. La qualité des éclairages et l’originalité de certains plans confèrent une véritable dimension artistique à ce projet original. L’esthétisme est renforcé par l’utilisation d’images animées réalisées sous la supervision de la talentueuse Lia Bertels (gagnante du prix du court métrage 2019 d’Anima avec Nuit Chérie) et du studio L’enclume. Les brefs mais judicieux recours à l’animation apportent une touche contemplative et féerique qui permet de contrebalancer l’empreinte dramatique des sujets traités.

La première rencontre permet de découvrir Franek. Son témoignage sur ses phases d’anorexie ainsi qu’un viol subit très jeune est touchant. Le dégoût de son corps, l’envie de disparaître, l’isolement social, les régimes miracles ainsi qu’une multitude de facettes de ce trouble sont évoqués. Le choix du format et la durée assez courte des épisodes permet de maintenir un rythme soutenu. De la volonté de faire disparaître son corps au souhait de disparition totale du monde, notamment par le suicide, il n’y a parfois qu’un pas à franchir.

À travers le témoignage de Franek, la place des réseaux sociaux, partie intégrante de la sociabilisation de nombreux jeunes, est également abordée. Des phénomènes comme la starification de l’anorexie par certains groupes de fans est par exemple dénoncée. A contrario, le choix d’instagramer sa nourriture et d’en faire une véritable bouée de secours met en avant certaines fonctions plus positives de la virtualisation du monde et des rapports sociaux. Le message principal qu’il souhaite adresser au monde est le suivant : « Chaque jour un petit pas en plus vers la guérison ».

La découverte de Jade et sa mélancolie traite d’un autre trouble mental parfois minimisé par les profanes. Touchée par des phénomènes de dissociation et des crises existentielles, cette jeune fille venait de débuter des études à l’université avant la pandémie. Après avoir décrit les formes que prennent sa dépression, elle exprime avec ses mots ses crises existentielles : « C’est comme si je ne m’entendais pas et je me regardais parler ». Plus que jamais, ses propos révèlent l’impact du Covid et des mesures sanitaires des confinements successifs sur la santé mentale des jeunes. À propos des réseaux sociaux et du jugement des autres, Jade transmet le message suivant : « On a le droit de sortir et de rigoler (par rapport à ses publications Instagram), ça n’invalide pas pour autant la souffrance qu’on vit tous les jours ».

Ensuite, le troisième épisode permet de découvrir Florine et ses 13 ans passés en psychiatrie, avec de nombreuses hospitalisations. Pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler, la brutalité de la contention en psychiatrie peut choquer : « On ne vous détache pas, même pas pour aller aux toilettes par exemple ». Sujette à des hallucinations et à de nombreuses crises de paranoïa, la mission actuelle de cette jeune fille de 26 ans est de faire évoluer la prise en charge des patients en psychiatrie : « Si je pouvais parler à la personne que j’étais quand j’avais 15 ans ou même quand j’avais 6 ans en fait, je ne dirais rien. Je me prendrais juste dans les bras. C’est tout ce dont j’avais besoin, en fait ».

L’épisode suivant est consacré aux troubles schizo-affectifs. Marc explique de manière très éclairée et éclairante comment cette maladie se situe à l’intersection de la bipolarité et de la schizophrénie dans ce qu’on appelle dans le jargon : la famille des psychotiques. Pour ce jeune Liégeois, décrochage scolaire et hallucinations auditives l’ont forcé à suivre un traitement qui s’est avéré plus problématique que salvateur avec l’apparition de dyskinésie (mouvements anormaux involontaires et incontrôlés des yeux, des bras, etc.). Plus de huit années auront été nécessaires avant qu’il ne soit finalement diagnostiqué comme étant schizo-affectif. Mais ce dernier désapprouve cette tendance à définir les gens par un seul aspect de leur personnalité : « J’ai plein de caractéristiques dans ma personnalité qui n’ont rien à voir avec tout ça. Je ne vois pas pourquoi on devrait résumer une personne à un diagnostic et à un état mental ».

L’avant-dernier épisode relate les états dépressifs que vit Arthur depuis près de huit ans. D’abord associée à une obésité précoce, la perte de poids d’Arthur n’a pas été le remède à ses troubles : « Je déteste les fêtes. Ce ne sont pas les fêtes en tant que telles que je n’aime pas. Ce qui m’angoisse, c’est d’être entouré de gens très très heureux. (…) Tout le monde fait la fête, toi tu es là. Laissez-moi entrer s’il vous plaît. J’aimerais être dans la norme et que tout soit simple mais ce n’est pas le cas. Il faut faire avec et avancer ».

Pour conclure cette série de webdocumentaires, le sixième et dernier épisode permet à Lula de parler de ses troubles bipolaires et des solutions qu’elle a mises en place pour ne pas revivre son passé douloureux. Rigueur, organisation, contrôle, limitation de l’alcool, sommeil régulier, autant d’éléments essentiels pour permettre à la jeune femme de ne pas perdre le contrôle de sa vie. D’abord perçue comme une crise d’adolescence par ses proches, Lula relate les méfaits de son premier internement à l’adolescence. Alternant ce qu’elle appelle des phases « basses » et « hautes », elle explique notamment comment sa bipolarité s’est manifestée par des formes d’inhibitions où elle cherchait à faire des rencontres à tout prix : « Le manque d’inhibitions et puis aussi la libido. En fait, j’enchaînais les partenaires. C’est un moment où je me suis mise beaucoup en danger. J’ai mis longtemps avant de comprendre que c’était un comportement qui était dû à la bipolarité ».

Le duo Dozen a déjà réalisé de nombreux clips musicaux à succès (Roméo Elvis, Bianco Costa, Ico, Juicy Piano Live Session, etc.) mais également des publicités. Ils ont désormais également quelques documentaires à leur actif comme Plus Trente-Deux, un projet documentaire sur l’immigration tourné en format Instagram pour la RTBF et Tipik ainsi que Inside Haïti.

https://dozen.tv/

Tout à propos de: