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Les Damnés ne pleurent pas de Fyzal Boulifa

Publié le 28/06/2023 par Quentin Moyon / Catégorie: Critique

Il pourrait s’agir d’un titre d’un James Bond, britannique comme le réalisateur. Mais dans Les Damnés ne pleurent pas de Fyzal Boulifa coproduit par Frakas Production, loin du divertissement, on se trouve dans une tragédie tout ce qu’il y a de plus shakespearien.

Les Damnés ne pleurent pas de Fyzal Boulifa

Mère et fils en errance. D’un côté Fatima-Zahra, femme au passé obscur, dont on ne saura pratiquement rien ou presque et qui semble poursuivie par une série de scandales qui la rattrapent tout au long du film. De l’autre, son unique fils, Selim, 17 ans qui n’existe pas aux yeux du Maroc n’ayant pas de père déclaré. 

C’est sans passé, ou sans identité que cet intrigant duo composé d’une mère exubérante et glamour, sorte de Joan Crawford méditerranéenne (l’actrice américaine qui a aussi joué dans The Damned Don’t Cry) et d’un fils plutôt taiseux, se lance sur les routes du Maroc, en bus ou en stop. En fuite d’un passé trop lourd. Mais avec l’espoir d’aller de l’avant malgré tout… Une fuite en avant ?

Cela en a tout l’air. Mais la vérité, habilement dissimulée sous une couche de maquillage, refait bientôt surface. Le fils, qui se prostitue auprès d’un riche et malaisant entrepreneur français interprété par Antoine Reinartz, est issu d’un viol. Le corps sexualisé qui semble pouvoir jouer ce rôle d’instrument du salut, en faisant gagner assez d’argent à Selim et à sa mère pour survivre tout en leur permettant d’être moins seuls, est aussi celui qui est la cause de leur “damnation”. Il leur coûtera leur relation privilégiée. 

La grande force du film réside dans l’incarnation, au sens le plus pur du terme, des personnages par le duo d’acteurs Aicha Tebbae et Abdellah El Hajjouji, qui jouent là leur premier rôle de cinéma. Tendresse dans la retenue, possessivité dans la distance, leur relation ambiguë en bien des aspects est le fil rouge de ce film parfaitement mis en scène par Fyzal Boulifa et magnifiquement mis en images par Caroline Champetier. 

Une relation avec des hauts et des bas, toxique, et qui aboutit au terme d’un long voyage de (re)apprentissage, sur un isolement encore plus profond pour les deux personnages. Fatima-Zahra se raccroche à la seule relation qui lui semble stable, la religion. Car “Seul Dieu ne change pas” comme elle dit. Elle abandonne le maquillage et ses couleurs vives pour rentrer dans le rang. Selim finit lui incarcéré, piégé par un ancien complice. A croire que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même ? 

Pour signifier le drame qui se trame, voir l’horreur de la situation, l’image déjà dénudée et désaturée, rappelant le peu de choses qu’ils possèdent dans tous les sens du terme, ne suffit pas. Les sonorités pratiquement désaccordées de la musique viennent hanter le spectateur et insister sur la cruauté de ce monde dans lequel il semble difficile de se hisser en haut de l’échelle sociale. L’injustice persiste et signe du début à la fin du film, même si certains instants sont nimbés d’une vraie lumière.

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