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Les Gestes de Saint-Louis

Publié le 26/09/2022 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Comment la danse reflète-t-elle une ville, ses habitants, ses va-et-vient incessants, ses tumultes ? Comment la chorégraphie parle-t-elle des gestes des gens, des gestes répétés, des marches lentes, de l’attente ? Comment la chorégraphie s'immisce-t-elle dans la réalité urbaine et comment est-elle, à la fois, investie de la force des éléments ?

Les Gestes de Saint-Louis

Les Gestes de Saint-Louis, ce sont tous ces gestes, ceux d’une communauté, ceux d’une ville située sur la côte nord-ouest du Sénégal, ceux de deux danseurs de la compagnie de danse contemporaine sénégalaise Diagn’art, ceux d’une réalisatrice belge Kita Bauchet (Bains publics, 2018) et d’une artiste plasticienne suisse, Stéphanie Pfister.

Le film, divisé en chapitres, chacun s’inscrivant dans un lieu spécifique de Saint-Louis : un pont, un marché, un fleuve, un quai de pêche, un quartier, les endroits emblématiques de cette ville sénégalaise. Et, à l’intérieur de chacun des chapitres, la réalisatrice joue avec deux caméras et opte pour différents cadrages d’une même scène à l’intérieur d’un même plan. Vision morcelée, mouvante, kaléidoscopique, représentative d’une réalité quotidienne. Kita Bauchet alterne les plans fixes, souvent associés aux scènes chorégraphiques et des plans caméra à l’épaule quand elle s’immisce dans les rues, les marchés, se rapprochant au plus près des gens. Le montage est rythmé, dynamique, alternant respirations et mouvements, à l’image même des chorégraphies qui sont au centre du processus filmique.

Ces chorégraphies ont été élaborées par les deux danseurs protagonistes, Jules Romain et Roger Sarr, ainsi que par le directeur de la compagnie Alioune Diagne. Et, c’est merveilleux. Les deux corps suivent les rythmes, les pulsations de la ville. En pleine heure de pointe, ils s’alignent sur la course effrénée des automobilistes et des passants, en pleine pluie, leurs gestes sont lents, dégoulinants à l’instar de l’eau qui tombe, en pleine mer, les corps se déchaînent, comme le ressac. Et puis, il y a ces gestes reproduits quotidiennement par les habitants, laver le linge, évider le poisson, des gestes rituels que les danseurs s’approprient. La danse raconte la ville, elle s’infiltre dans la poussière des rues.

Le ciment, ce qui fait tenir ces morceaux de vie, c’est la musique, celle de Siegfried Canto, compositeur, flûtiste et altiste, passionné par les arts visuels et le cinéma. Aux sonorités des musiques traditionnelles sénégalaises se répondent des rythmes plus classiques et d’autres plus électro. Des compositions qui s’intègrent parfaitement aux narrations de chacune des scènes et qui alternent avec les sons réels de la vie, cris d’enfants, discussions, vrombissements de moteur, animaux.

Les Gestes de Saint-Louis est un documentaire qui fait à la fois preuve de délicatesse et de puissance. Il y a quelque chose de profondément humain et représentatif d’une ville qui fonctionne avec ses couleurs, ses errances, ses regards, ses mouvements. Un thème traité avec une grande justesse formelle.

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