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Les vingt-neuf marches du cinéma

Publié le 01/06/2008 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication
Les vingt-neuf marches du cinéma

Les vingt-neuf marches du cinéma

Vingt-neuf exemplaires d’une collection consacrée aux grands cinéastes de notre temps, éditée par les Cahiers du Cinéma en collaboration avec Le Monde. Une publication exemplaire parce que chacun des livres s’adresse à tous : aussi bien aux cinéphiles avertis qu’au public intéressé par le cinéma. Chaque réalisateur fait l’objet d’une explication précise dans les développements d’une œuvre qui passe par différentes phases, la reconnaissance de la critique, le succès public et l’influence considérable sur le cinéma actuel. Chaque volume est illustré de photos des films et du réalisateur lors des tournages, mais aussi de textes particuliers sur des points de vue plus analytiques. Ils sont actuellement disponibles en complément du quotidien Le Soir, accompagnés d'un DVD.
Par exemple, Charles Tesson nous explique, en une page mise en exergue, la filiation entre Kurosawa et Clint Eastwood et, sur une autre page, à quel point Toshiro Mifune fut pour Kurosawa l’égal de ce que fut John Wayne à John Ford. Un texte général de 94 pages nous montre qu’après Rashomon, (Lion d’or à Venise en 1951), les yeux occidentaux découvrent un septième art venu d’Orient (Yojimbo (1961) a inspiré un remake à Sergio Leone, Pour une poignée de dollars (1964) mais aussi l’écart entre la culture féodale traditionnelle (la négation de l’individu) et l’apprentissage de la démocratie (l’affirmation de soi). Des contradictions qui sont au cœur du cinéma de Kurosawa qui concilie l’esprit du Japon des samouraïs à un humanisme qui lui est cher (voir Vivre).
La collection a démarré, dès son premier numéro signé par Jérôme Larcher, sur un réalisateur mythique : Charlie Chaplin. « On dit aujourd’hui Chaplin comme on dit Vinci, ou plutôt Charlot comme on dit Leonard ». De l’enfance de Charles Spencer Chaplin comparable aux personnages d’un roman de Dickens à son arrivée à Hollywood en plein âge d’or du burlesque (lui permettant d’exprimer la richesse de son talent). Le sommet dans les années trente, Les Temps modernes, Le Dictateur, Les lumières de la villeavec sa dernière séquence inoubliable faite de champs-contrechamps, simplement sur des regards.

Celia Cohen retrace le curieux itinéraire de Steven Spielberg, le cinéaste le plus connu au monde, évoluant progressivement, contre toute attente, vers un monde désenchanté (Minority Report, Munich). Le réalisateur avait pourtant fait de l’enchantement du monde sa tasse de thé. Magicien, il a créé, avec son ami Georges Lucas, un royaume dont le spectateur était devenu un prince. Contrairement aux « movies brats » qui ont reconstruit un Hollywood où se conjuguent l’auteurisme et le cinéma commercial, il hisse le cinéma de divertissement à son apogée (efficacité, plaisir immédiat, rentabilité). L’époque de E.T. ou d’Indiana Jones.

Longtemps ignoré de la critique tout en triomphant auprès du public jeune grâce aux westerns à l’italienne de Sergio Leone, avec un personnage impassible (cigarillo, Stetson et poncho) Clint Eastwood gravit les marches d’Hollywood en réalisant un nombre impressionnant de films. Bernard Benoliel nous parle de cet arpenteur d’espaces qui ressuscite le grand cinéma classique tout en respectant les contraintes du cinéma moderne, né en Amérique avec Citizen Kane (l’impossibilité d’épuiser les facettes d’un sujet).
Sur Orson Welles, prophète inclassable du cinéma, Paolo Mereghetti, le critique du Corriere della Sera, nous rappelle la dette du cinéma moderne envers ce géant (« J’appartiens à une génération de cinéastes qui ont décidé de faire des films après avoir vu Citizen Kane », déclarait François Truffaut, au nom de tous les réalisateurs) mais surtout des contradictions et des ambiguïtés de la vie et de l’œuvre de Welles. Un réalisateur qui, dès son premier film, n’a pas hésité à se confronter à l’univers des medias et n’a cessé de lutter contre les tentations du pouvoir et du succès.
Jean-Baptiste Thoret nous présente l’une des légendes du cinéma des années '60, Sergio Leone, qui a donné un second souffle au western à un moment-clé du cinéma américain à bout de souffle, pris entre la perfection du classicisme et l’apparition, à la fin des années '60, des cinéastes du Nouvel Hollywood. Les ritournelles entêtantes composées par Ennio Morricone, les attitudes hiératiques de Charles Bronson et de Clint Eastwood, les gestes interminables (on met cinq minutes avant de dégainer son pistolet) ont transformé le genre en opéra. Leone a réussi l’alchimie entre le grand public et le cinéma d’auteur comme Quentin Tarantino qui s’en est largement inspiré trente ans après.
 
Au début des années '50, en même temps que la découverte de Kurosawa, le monde repère l’œuvre immense de Kenji Mizoguchi (soixante-dix films invisibles en Occident). Féru du cinéma japonais, Noël Simsolo nous explique que ce cinéaste moderne deviendra classique avec des films empreints à la fois de violence et de sérénité et sera découvert avec éblouissement par les cinéastes occidentaux.

Avec La vie d’Oharu, femme galante (1952) ou l’Intendant Sansho (1954), Mizoguchi, l’autodidacte, a dessiné, dans ses films, sous les apparences de mélodrames, de beaux portraits de femmes trahies, déchues et humiliées par les hommes. Tout cela avec une esthétique qui combine l’œil du peintre et l’âme du poète.

Le thème de la prostitution obsède Mizoguchi dont le père, poussé par la pauvreté, a vendu Suzu, sa fille (la sœur de Kenji), pour qu’elle devienne Geisha. Flânant dans les milieux de son quartier, Kenji observe les femmes corruptibles et la faune des démunis.

Ce sera le sujet principal de son dernier film, La Rue de la honte (1956) en ce qu’il résume à la perfection le rapport de la femme à l’argent. Celui-ci étant, pour Mizoguchi, comme le vecteur de l’oppression que subissent toutes les femmes (épouses, actrices, servantes). Ce film bouleversant, proche des convictions de Jean Renoir (« chacun à ses raisons »), nous montre avec finesse et subtilité que l’on ment pour sauver les apparences. Le bordel devient une protection pour des femmes contre le monde de l’argent des hommes.

Federico Fellini, du néoréalisme d’après guerre jusqu'à la néotélévision, n’a cessé d’explorer les nombreuses facettes d’une réalité présente dans la société du spectacle (des paparazzi photographes aux nouveaux paparazzi de la télévision). Angel Quitana explique que Fellini, pendant toute son œuvre, a mené maintes ruptures avec le récit et la dramaturgie. Mettant en crise la narration, il a rejeté les frontières entre fiction et réalité qu’il a substitué à son style de cinéaste démiurge. Ses derniers films ont dressé un portrait du monde du simulacre de la télévision qui a phagocyté la création cinématographique en imposant le monde du faux, du semblant.

Devenu populaire lors de la sortie de La Strada (1954), Fellini se retrouve au centre du miracle économique que vit, à la fin des années '50, l’Italie. Rome est devenu le paradis des stars américaines, surveillées de près par des paparazzi recherchant le scoop juteux et qui rêvent de transformer Cinecittà en Hollywood-sur-Tibre. Ce sera le sujet de La Dolce Vita, un film qui provoque un scandale en Italie et propulse Fellini dans la modernité cinématographique, mais le précipite aussi chez un psychanalyste adepte des théories de Carl Gustav Jung. Celui-ci lui explique que l’inconscient peut offrir une richesse à l’imaginaire. De cette influence psy vont naître 8 1/2 (1963) et Juliette des esprits (1965).

L’excellent Bill Krohn (on lui doit le montage de It’s all true de Welles) développe l’idée que le cinéma de Stanley Kubrick a accompagné son époque. Lors du mariage de sa sœur, il quitte la maison mine de rien pendant le dîner, avec son smoking pour voir Lolita, conscient que sa tenue lui permettra de franchir un guichet interdit à son jeune âge. Enfin, après d’autres visions extravagantes, il rattrape Eyes Wide Shut dans une salle miteuse de Los Angeles dont le projectionniste arrête la projection au moment du générique de fin.

Photographe du Look, joueur d’échec dans le Bronx à New-York, Kubrick, dès Lolita (1962), a enchaîné des chefs-d’œuvre lui ouvrant une carrière internationale. Les nouvelles générations ne cessent de le découvrir pour son incroyable invention formelle dans tous les genres ; thriller, comédie, science-fiction, horreur, guerre. Inspiré d’un roman picaresque de William Thackeray, Barry Lyndon (1975) nous conte l’ascension et la chute d’un aventurier irlandais. Une fable picturale éblouissante (la peinture de Gainsborough et de Reynolds) à la musique étincelante de Leonard Rosenman fabriquant une version en boucle de la Sarabande pour cordes et percussions de Georg Friedrich Haendel.
Adapté d’un roman de Schnitzler (Traumnovelle), l’ultime film de Kubrick, Eyes Wide Shut est le récit d’un couple marié succombant au "seven year itch" (démangeaison des sept ans) avec Tom Cruise et Nicole Kidman, mariés à la ville à l’époque. Un film qui, comme tous les derniers films de Kubrick, ne cesse de grandir dans la conscience des spectateurs comme si ceux-ci avaient du retard sur la perception du film. Si, comme on ne cesse de nous l’expliquer, il y a un axe central que l’on ne peut franchir, avec la caméra, on reste béat en voyant Kubrick (cinéphile, il sait que John Ford n’y était pas réfractaire) s’amuser lors de la fête de Noël, pendant laquelle Alice (Nicole Kidman) près du bar, voit surgir dans le cadre Sandor (Skye Dumont), le séduisant Hongrois. « Après un baise-main, un plan de coupe de 180 degrés ouvre leur conversation. Fondus-enchaînés du couple dansant, tournant constamment et échangeant leur position dans le cadre ». Une valse assez hallucinante. 

Lors de la préparation de Raging Bull (1980), Michael Powel (grand cinéaste britannique que le public redécouvre grâce aux coffrets de ses films en DVD édités par Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier) signale à Martin Scorsese que les gants rouges utilisés lors des combats de boxe ne conviennent pas au film qu’il veut réaliser. Celui-ci y réfléchit et décide de tourner le film en noir et blanc. En même temps, il publie un manifeste pour sauvegarder le patrimoine cinématographique dégradé par le magenta de la pellicule couleur d’Eastman Kodak. En 1980, Scorsese vient de vivre une époque dépressive. Robert De Niro le rencontre à l’hôpital et lui demande s’il souhaite mourir. Le réalisateur de Taxi Driver comprend que Raging Bull sera l’histoire d’une autodestruction. Ce sommet de l’œuvre de Martin Scorsese sera un échec commercial et critique. Nommé pour les Oscars, il n'obtient rien et comprend que, tout comme les autres « movies brats » des années '70, il ne fera jamais partie du sérail hollywoodien. Il ne l’obtiendra, en effet, qu’avec Les Infiltrés (2006), le plus grand succès commercial de sa carrière. L’auteur du livre, Thomas Sotinel, nous parle intelligemment de Le Temps de l’innocence, un film de Scorsese peu connu du public et qui n’a pas beaucoup inspiré la critique. Le réalisateur s’est inspiré, grâce aux films de Michael Powell et Emeric Pressburger, des fondus en couleur : au lieu de se dissoudre dans le noir, un plan s’éteint en une teinte jaune, rouge ou rouille. Le film nous conte l’histoire de Newland Archer (Daniel Day-Lewis) qui ne peut briser les portes d’un monde qu’il essaie de fuir et permet à Scorsese de revenir sur les films italiens en costumes de son enfance qu’il aime et admire (Visconti et Rossellini).

Devenu incontournable au début des années '90, Pedro Almodovar serait né en Espagne le 25 septembre 1949. Puis, il serait né en 1951. Enfin, plus tard, en 1952 (à moins que cela ne soit en 1955). En somme, comme dans ses films, la vie est hors d’atteinte. On n’y voit que ce qu’il veut bien nous montrer dans une fiction digne d’un tableau de Goya, voire d’une toile des Gobelins brodée sans cesse et sans fin. Thomas Sotinel nous divulgue l’un des aspects du cinéma d’Almodovar, l’absence totale des souvenirs sur la guerre d’Espagne. Ignorer Franco étant pour le cinéaste une manière de liquider son héritage. Avec Volver, son dernier film, il revient, un quart de siècle plus tard, aux femmes et aux archives qui l’ont accompagné dans une thématique qu'il n’a cessé de valoriser depuis Pepsi, Luci, Bom et autres filles du quartier.


Dans les vingt-neuf livres sur un siècle de cinéma chacun des réalisateurs choisis bénéficie d’une biographie, d’une filmographie, d’une bibliographie, des DVD disponibles.

Illustré d’une iconographie photographique en noir et blanc et en couleur.

Collection les Grands cinéastes :

  1. Charlie Chaplin par Jerôme Larcher
  2. Steven Spielberg par Clelia Cohen
  3. Orson Welles par Paolo Mereghetti
  4. Stanley Kubrick par Bill Krohn
  5. Francis Ford Coppola par Stephane Delorme
  6. Martin Scorsese par Thomas Sotinel
  7. Jean-Luc Godard par Jacques Mandelbaum
  8. David Lynch par Thierry Jousse
  9. Pedro Almodovar par Thomas Sotinel
  10. François Truffaut par Cyril Neyrat
  11. Fritz Lang par Aurelien Ferenczi
  12. Federico Fellini par Angel Quintarre
  13. Clint Eastwood par Bernard Benoliel
  14. Ingmar Bergman par Jacques Mandelbaum
  15. Tim Burton par Aurelien Ferenczi
  16. Kenji Mizoguchi par Noël Simsolo
  17. Jean Renoir par Charlotte Garson
  18. Sergio Leone par Jean-Baptiste Thoret
  19. Roberto Rossellini par Hélène Frappat
  20. Luis Bunuel par Alain Bergala
  21. Andrei Tarkovski par Michel Chion
  22. Akira Kurosawa par Charles Tesson
  23. Billy Wilder par Noël Simsolo
  24. Sergeï Eisenstein par Stéphane Bouquet
  25. Alfred Hitchcock par Bill Krohn
  26. Buster Keaton par Stéphane Goudet
  27. Woody Allen par Florence Colombani
  28. Michelangelo Antonioni par Stig Björkman
  29. Robert Bresson par Jean-Michel Frodon