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Linda & Ali, Two worlds within four walls

Publié le 01/01/2006 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Prix du Documentaire au Panorama Henri Storck

 

Linda & Ali

 

Ce facile air du temps  

Linda et Ali ne sont pas les deux mondes entre quatre murs que désigne le film par son titre, qui, tel tout bon paratexte qui se respecte, oriente notre lecture avant même qu'il n'ait commencé.  Et ce petit sous-titre, à l'air tout à fait innocent, nous envoie directement dans l'air du temps, tirer la corde sensible de la guerre des civilisations, contre quoi l'œuvre voudrait résister puisqu'il s'agit justement de démontrer que les deux mondes en question sont capables de cohabiter.

 

Est-ce, principalement grâce à ce couple ? Car Linda est américaine et Ali est qatar. Elle a épousé la religion musulmane, puis Ali qu'elle a rencontré aux Etats-Unis, qu'elle a suivi dans son pays, avec qui elle vit depuis plus de vingt ans, dont elle a eu 7 enfants. Lui vit sa vie d'homme, tente de vivre sa vie d'époux et de père. Alors quels sont ces deux mondes en question ?  Les Etats-Unis et la Péninsule Arabique, l'Occident américain et un bout du monde arabe ?  

 

Or, si Linda est surtout représentative de la diversité de l'Amérique, le monde arabe se divise entre le Qatar, l'Irak, l'Iran… ajoutons l'Afrique noire musulmane… Il devient dès lors difficile de souscrire au discours sous-tendu par le film. Et ce d'autant plus que c'est justement là ce qui est le plus intéressant dans Linda & Ali, que la mixité de leur couple ne révèle rien d'autre qu'une grande banalité, des problèmes de famille nombreuse, de couple un peu bourgeois. La caméra, qui ne cache pas vraiment sa présence, se tient un peu à distance des nombreuses disputes, des hésitations incessantes de cette femme qui élève ses filles dans l'esprit d'un mariage consenti mais leur souffle à l'oreille l'idée d'un mariage d'amour. Qui tempête, parce qu'elle ne sort pas assez, ne fait pas assez de choses avec son époux dont elle se plaint sans cesse de l'absence. Et Ali tente de faire face, de créer des liens avec ses filles, de répondre aux attentes de sa femme, tout en continuant à voguer de soirées masculines en soirées masculines, refusant l'idée que l'un de ses fils puissent faire comme lui, épouser une américaine, mais essayant ailleurs de convaincre ses amis du choix qu'il a fait.  Des disputes conjugales tout ce qu'il y a de plus banales et des individus, tout simplement dont la caméra saisit les ambiguïtés, les contradictions, les porosités avec beaucoup de respect. Ce qui est déjà beaucoup.

 

Mais alors pourquoi cette tentation de les réduire à des symboles qui les dépassent ? Pourquoi ce titre, et la tentation du film, notamment à la fin, ces images d'une vie familiale en forme de happy-ending américain ? C'est grossier  - ou niais - de vouloir nous faire croire qu'Ali et Linda incarnent autre chose qu'eux-mêmes et qu'ils sont la preuve vivante que ce qui déchire notre monde contemporain trouve, à l'échelle individuelle, une forme de résolution. Eux, qu'aucun écho de ces déchirures ne traverse. Et c'est le plus déplaisant de Linda & Ali, cet argument grâce auquel il se vend, et par lequel il est accueilli et récompensé d'un prix, cette forme d'autosatisfaction béate de croire avoir fait œuvre de résistance lorsqu'on a juste filmé un bout de réel complexe, juste un couple. 

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