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Little Sister de Ségolène Neyroux

Publié le 15/12/2011 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Présenté au festival Filmer à tout prix dans les premières œuvres belges, Little Sister de Ségolène Neyroud  fait partie de la cuvée SIC de l’année 2010.  C’est aussi une production des Films Nus, à qui l’on doit L’été de Giacomo. Etonnant lien entre les deux films qui, tous deux, font face à la surdité de ceux qu’ils choisissent de filmer, qui, tous deux, cherchent à mettre au présent le temps de l’enfance, temps d’une certaine innocence, de la joie des corps. Et si Little Sister n’est pas aussi abouti que L’été de Giacomo (mais pourquoi faudrait-il les comparer en tous points ?), il n’en reste pas moins qu’il vibre lui aussi de grâce et de lumière. 

photo du film Little sister de Ségolène NeyrouxSorte de journal filmé, Little Sister brode sur plusieurs segments narratifs la relation de deux sœurs que tout semble opposer d’une manière presque magique. Tandis que la cadette a la crinière blonde et frisée, l’aînée est brune, longue et souple. La première est sourde depuis l’enfance et parle de cette voix propre aux gens malentendants, presque enfantine, venue un peu d’ailleurs, toujours un peu à côté. La seconde possède l’oreille absolue, joue de la musique et chante pour sa sœur. La première se laisse filmer et retourne, de temps à autre, la caméra. L’autre filme et tente de saisir, en revenant vers sa cadette, le lien qui les a si fortement unies et la distance qui les sépare désormais. D’un côté, de nombreuses images de familles, petits films ou photos qui les tiennent ensemble dans le cadre à l’écran, fortes de leurs jeux d’enfants, de leurs complicités, de leurs joies. Temps lumineux et joyeux où l’enfant sourde fait passer des sons qui sont de l’ordre du cri, paroles sauvages et énergiques du corps et où sa sœur est toujours là pour dire, parler, tendre ou prendre la main. De l’autre côté, la distance du temps, des douleurs intimes, un grandir qui met à mal les évidences lumineuses de l’enfance, de chaque côté de la caméra. Alors, les jeux sont à réinventer. Et le film s’y emploie à travers la mise en scène d’un arbre couvert des souvenirs de l’enfance, petites madeleines proustiennes qui brillent au soleil du jardin, à travers ces dialogues en ping-pong, où la caméra change de main, tourne et retourne, à travers cette autre séquence, presque rêvée, où les deux jeunes femmes, fringuées comme des vamps, se mettent en scène et dansent dans des décors très lynchéens, toutes deux dans le cadre.

Mettant les parents, et plus généralement, tous les autres de côté, Little Sister tente de se ressaisir de ce lien de l’enfance, de le travailler de l’intérieur, de lui redonner un espace intime et secret où se retrouver, où s’épanouir à nouveau. N’hésitant pas à accepter que la caméra la dévoile elle aussi, partie prenante du film, Ségolène Neyroud rentre peu à peu dans l’espace du cadre, fait face au regard qui lui est retourné. Les dialogues des deux sœurs racontent le temps du grandir, de la distance, de la séparation. Au-delà de la parole qui les unit toutes les deux dans leur volonté de dire, de retrouver leurs liens, tout un univers sonore vient renouer l’enfance à travers les souvenirs d’une boîte à musique, des ballades composées aujourd’hui, des danses ou des dialogues entrepris frontalement. Et il désigne aussi, en creux, pudiquement, l’endroit, entre les deux femmes, de la différence, et sans doute d’une certaine douleur. Plein de maladresses, d’hésitations, de tâtonnements, le film de Ségolène Neyroud réussit dans sa chair à construire l’objet de sa quête. Par delà la nostalgie des images de l’enfance, le temps évaporé des souvenirs joyeux, la douleur d’une distance que les dialogues n’arrivent plus tout à fait à effacer, de par sa frontalité assumée, ses inventions narratives et ses audaces cinématographiques, grâce à l’esprit malicieux et enfantin qui le parcourt, c’est le film lui-même qui vient faire sens, donner corps et chair à ce lien, le réinventer le temps d’un geste cinématographique, créer ce qu’il s’agissait de retrouver, la complicité de deux enfants qui jouent.

 

 

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