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Maigret de Patrice Leconte

Publié le 21/02/2022 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Le cinéma français donne dans l’origin story avec ce nouvel opus de Maigret, réalisé par Patrice Leconte et plaçant Gérard Depardieu dans la peau et au bout de la pipe du détective de Simenon. En résulte un film intriguant, pas dénué d’intérêt et au cœur duquel se cache de beaux moments de cinéma.

Maigret de Patrice Leconte

Une enquête à la fois banale et pourtant qui plonge au cœur de la noirceur des personnages de Simenon. Retravaillé par le duo Patrice Leconte et Jérôme Tonnerre (son co-scénariste régulier), l’ouvrage Maigret et la jeune morte prend une nouvelle tournure pour faire revenir l’inspecteur sur grand écran, après plus de soixante ans d’absence. Un récit difficile, mais mis en scène de manière intéressante, adaptant sans dénaturer l'œuvre tout en lui apportant la patte d’un auteur. Le style proche des personnages, proche de ce Maigret en proie au doute, amène une certaine immédiateté dans la réalisation. Cette histoire poisseuse, nous la vivons avec Depardieu et à travers sa performance, tâtonnante. Un nouveau départ après le traumatisme vécu par le personnage, une disparition plus ancienne mais surtout plus intime, que l’on perçoit bien entre les lignes du récit. Et dans la projection que fera Maigret sur cette jeune morte, et sur celle, encore bien vivante, on comprendra petit à petit les tenants et aboutissants d’une enquête à tiroirs pour le détective encore chancelant.

Évoluant au cœur d'un Paris décoloré, le côté sombre de Maigret ressort d'autant plus de la prestation de Depardieu, qui transpire la misanthropie et le dégoût. On est pas si loin du film noir et du détective à la Bogart, baigné par une atmosphère similaire mais résolument française. Avec tout ce que cela implique de cadrages, d'ambiances et de styles de jeu.

Par certains aspects, le film manque peut-être d'audace dans son adaptation, les rôles féminins restant coincés dans les codes de l'époque, entre sexisme bienveillant et misogynie latente. Pour autant et si l'on fait abstraction de cette caractérisation éculée, les prestations de Jade Labeste ou de Clara Antoons marquent par la profondeur de leurs regards, par l'aura qu'elles véhiculent dans leurs scènes. Clara Antoons est une Blanche Neige impressionnante, image fantomatique qui hante le spectateur comme les personnages du récit.

Et dans le travail esthétique du film, certaines scènes frappent par leur beauté et le fin travail des décors. À l'image des scènes de rencontre entre Depardieu et Mélanie Bernier, où décor filmique et artefacts du récit ne font plus qu'un. Qu'y a-t-il vraiment de plus beau qu'un décor de cinéma à l'écran ? Ou encore à l'image de la rencontre entre Maigret et ce vieil homme perdu entre les chaises et les menuiseries désarticulées, dans un décor dont la décrépitude est si bien rendue qu'elle fait peine à voir. Une scène qui semble échappée d'un Tarkovski, et où Maigret navigue avec l'incertitude qui vient quand l'homme triste rencontre plus triste que lui-même.

De quoi rendre un côté cinématographique indéniable à l'exhumation de ce grand mythe du Septième art et de la littérature belge.

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