Moderne
Moderne ?
Après le beau livre de Jean-Michel Frodon (voir cinergie.be) paru dans le 21e siècle des Cahiers du Cinéma, Jacques Aumont publie dans la même collection Moderne ?, une analyse originale de la chronologie du cinéma. Entre le sérieux et le malicieux, Aumont n’hésite pas à relativiser des critiques décisives sur la modernité indispensable de la fin du siècle précédent (Serge Daney, Gilles Deleuze, Jean-Luc Godard, Alain Bergala) tout en se gardant bien de jeter ces croyances dans les poubelles de l’histoire. Il se contente de les relativiser.
Au 21e siècle, le cinéma n’est plus moderne, il n’est pas davantage postmoderne, ne l’ayant jamais été vraiment. Le cinéma, comme l’art en général, « est devenu simplement contemporain ». Un cinéma qui n’arrête pas de se transformer depuis ses débuts, étant en évolution constante. Dans les années 1930, arrive le parlant, suivi de la couleur, des changements de format de la caméra légère, du zoom, de la louma, de la vidéo au numérique haute définition. Certains n’hésitent pas à augurer de sa disparition prochaine. « Le cinéma, encore, toujours, tout de même » remarque Jacques Aumont, « l’étonnant est donc que, malgré tout (et déjà malgré les pronostics funèbres des années quatre-vingts), le cinéma soit encore là ».
Flash-back. Lorsque s’impose le parlant et s’affirme le système industriel d’Hollywood, le cinéma se tire « du côté d’une normativité, d’essence classique – mais un classique de masse ». C’est sur cet aspect d’un cinéma classique » fabriquant des produits normés que surgit (à Hollywood) en 1941 « un coup de tonnerre incessamment célébré depuis, le film qui signe la fin de l’innocence et l’entrée volontariste dans une sorte d’âge adulte» : Citizen Kane d’Orson Welles. André Bazin déclare « le cinéma est enfin l’égal de la littérature » (ce que conteste Sartre à l’époque dans Situations 1), contrairement à Truffaut qui écrit : « Depuis 1949, tout ce qui compte dans le cinéma a été influencé par Citizen Kane ». On sait qu’Hollywood y réagit en censurant la nouveauté et en ne cessant de s’attaquer à la créativité de Welles lors du montage de ses films dont on lui enlève le « final cut ».
Surgit Roberto Rossellini et le texte qu’y consacre Jacques Rivette en 1955, affirmant que désormais avec Rosselini, la modernité ne s’impose pas par rapport à un classicisme antérieur « mais se fonde d’elle-même ». Rivette parle «d’un anti-classicisme rossellinien ». Pour autant le mythe Rossellini ne va pas beaucoup intéresser le réalisateur de Stromboli. Il n’hésite pas à faire l’apologie d’une télévision qui démarre, avec brio, dans les années soixante ( hélas, trois fois hélas, lorsqu’on connaît son avenir : la haine du cinéma et son amour du débile façon daube interactive ou sa fascination de l’accessoire façon gnognote).
La Nouvelle Vague va puiser son inspiration dans la croyance décrite et défendue par Rivette. « Peu d’années après la lettre sur Rossellini, la prophétie de Rivette se réalise pour partie et de jeunes cinéastes s’inspirent avidement de la liberté rossellinienne pour leurs propres films. La Nouvelle Vague n’est pas un mouvement bien cohérent, sa mise en œuvre des idées de Rossellini ou de Rivette est approximative. L’important, l’essentiel est qu’il est devenu possible de filmer sans que le scénario domine le film, « de concevoir un film comme un documentaire sur ses acteurs ».
Jacques Aumont n’hésite pas à prendre au sérieux toute la religiosité de ces systèmes théoriques qui ont l’intérêt – malgré leurs fantasmes – de survivre et même de demeurer opérants.
Un livre, donc, à lire et relire, qui conclut en pensant à la survie du cinéma. Jacques Aumont envisage « avec confiance la possibilité d’une relance moderne, pour tout dire d’une seconde modernité ». Cela nous change radicalement des nombreux discours pessimistes sur la fin du septième art, qui ne cessent de prétendre que le numérique tue le cinéma. Et si c’était justement – pour autant qu’on ne s’en serve que techniquement – ce qui va permettre au cinéma de survivre ?